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Beti–Bulu–Fang: Des Bouleversements sur la Consommation des Boissons et du Tabac

Si les premiers observateurs arrivés en pays beti–bulu–fang ont relevé la prédominance du tabac sur les boissons notamment alcooliques, un tour ou un voyage dans ces mêmes villages laisserait bien désarçonné un de ceux–ci au jour d’aujourd’hui. Tant nos villages et villes regorgent d’alcooliques, les uns plus chroniques que les autres.

En effet, l’analyse des transformations survenues dans les sociétés beti–fang présente de nombreux aspects qui sont bénéfiques aux populations desdites sociétés ; cependant à propos de la consommation d’alcool, c’est plutôt la régression des sociétés qu’on observe.

Dans l’article présentant les habitudes des Beti, nous avons dit qu’après l’eau pure, boisson par excellence des populations Beti–Fang, ceux–ci se contentaient encore du vin de palme ou de raphia, pourvu d’écorce de l’arbre esog, pour augmenter légèrement la teneur en alcool.

De même ils consommaient le jus de canne à sucre légèrement relevé, ainsi que le jus de banane douce.

Les boissons n’étaient pas consommées à longueur de journées, mais lors d’occasions précises (réjouissances, cérémonies rituelles, funérailles …). Les hommes passaient le plus de temps à des activités bénéfiques au groupe social : travaux champêtres, chasse, guerre, initiation, demande en mariage…

Les femmes quant à elles s’occupaient peu ou presque jamais de la boisson alcoolique ; si ce n’est le cas des femmes âgées, ne faisant plus d’enfants, c’est–à–dire le plus souvent leaders dans une société secrète quelconque.

De nos jours, ce temps est bien révolu et surtout il est très lointain. Un tour des différents groupes Beti–Fang aussi bien en ville qu’en campagne nous édifierait mieux. La première réalité est que l’éventail des différentes boissons est assez large ; le vin de palme, de canne à sucre lorsqu’il est encore consommé (il est bien sûr encore prisé de tous les Beti–Fang), présente une teneur éthylique bien considérable. Et l’on ne devrait plus s’étonner de voir les buveurs tituber après deux ou trois verres de vin de palme ou de raphia. Il en est de même pour le vin de canne à sucre, bien qu’il soit de moins en moins consommé chez les Fang–Beti du Cameroun, cependant qu’il l’est chez ceux de Guinée Equatoriale et du Gabon.

A côté de ces vins traditionnels, se sont ajoutés d’autres de qualités et d’origines différentes. Il s’agit dès la période coloniale des boissons de liqueurs distillées à bas du maïs, l’arki, interdit par l’administration coloniale d’abord, puis par celle du nouvel Etat indépendant du Cameroun, tellement ses effets sont ravageurs.

Son équivalent obtenu à partir de la fermentation du vin de palme/raphia avec le sucre raffiné n’est pas mieux, il s’agit de l’Odontol. Il a inspiré un poète–musicien camerounais qui l’a d’ailleurs rendu responsable des actes les plus odieux, barbares et irresponsables observés dans de nombreuses familles.

Aux côtés de ces boissons de fabrication artisanale c’est–à–dire n’obéissant presque pas aux règles élémentaires d’hygiène, se sont ajoutées d’autres boissons d’origine ou de fabrication industrielle. L’industrie d’alcool figure d’ailleurs parmi celles qui ont le plus prospéré au Cameroun.

Ainsi donc, on retrouve des bières, des vins rouges de table, blancs, des liqueurs fortes : (whyskies, Gin, rhum…) en bouteilles et récemment encore en sachets et en bidons.

Que ce soit en campagne ou en ville, l’homme Beti–Fang rencontre de l’alcool partout où il va et à tout moment. Les conséquences de cette prolifération et de l’omniprésence des boissons alcoolisées sont multiples, et surtout appellent à un réveil de l’honneur et de la dignité perdue du Fang–Beti.

En effet, la première conséquence est la généralisation de la consommation d’alcool ; toutes les tranches d’âge, tous les groupes sociaux sont aujourd’hui touchés par le plaisir de consommer de l’alcool.

Les femmes Beti–Bulu–Fang, autrefois réservées, responsables et jalouses de leur pudeur, sont aujourd’hui des concurrentes confirmées des hommes en matière de consommation d’alcool. En ville comme en campagne, il est fréquent de rencontrer une femme titubant sous l’effet d’une dose d’alcool extraordinaire, exposée aux abus et autres dangers de toutes natures. Cela explique en partie les actes de viol dont sont souvent victimes les femmes Beti.

Cette attitude de consommatrice avérée de boisson alcoolique expose plusieurs de ces femmes à de multiples problèmes dans leurs foyers conjugaux : maris et enfants délaissés, sans quoi manger, obligés de se débrouiller pour joindre les deux bouts. Et la conséquence immédiate est souvent le divorce, ou alors la polygamie, l’homme se retrouvant obligé de choisir une autre épouse pour réchauffer sa case. Nos grands–mères seraient bien scandalisées, si elles voyaient aujourd’hui beaucoup de leurs petites–filles et filles.

Quant aux jeunes, autrefois les bras et les pieds de la société, la situation n’est guère meilleure, elle pourrait même être pire. En effet, beaucoup de jeunes Beti, filles et garçons sont devenus des inconditionnels de l’alcool. L’on peut ainsi rencontrer des filles qui ont fait l’expérience de plusieurs marques de bières, pendant que les jeunes garçons rivalisent de résistance dans la consommation du vin, véritables promoteurs de l’oisiveté.

Les hommes adultes, autrefois gardiens de la sagesse ancestrale, protecteur de leurs familles, aujourd’hui semblent être ceux qui indiquent le chemin à prendre en matière de consommation d’alcool et d’irresponsabilité.

Ils sont de plus en plus nombreux, ces hommes, incapables de subvenir aux besoins les plus élémentaires sinon vitaux de leurs familles ; ils passent le plus de temps dans les lieux de vente de boissons alcooliques que dans les plantations et les champs. Beaucoup de ces hommes ont abandonné leurs plantations cacaoyères, leurs palmeraies….., n’ayant plus de force, sinon la volonté et l’engouement pour ces activités lassantes.

Ces comportements également expliquent en partie les multiples divorces, les problèmes dans les foyers, les enfants qui ne peuvent poursuivre les études, le parent étant incapable de payer la scolarité, l’on peut également noter la précarité alimentaire qui menace les familles, les champs ayant été désertés pour les bars et les bistrots.

Une autre observation faite à propos de la consommation d’alcool aujourd’hui dans les sociétés Fang–Beti est qu’autrefois, l’homme Beti consommait de l’alcool à l’occasion d’un événement précis, et surtout lorsque chacun avait rempli sa tâche. Pourtant de nos jours, les Beti–Bulu–Fang, ces seigneurs n’ont plus de respect pour l’heure. Il est très fréquent de croiser un Beti en état d’ivresse assez avancé dès les premières heures du jour, il en est de même, tard dans la nuit. Boire constitue d’ailleurs la principale occupation de certains.

L’autre conséquence très significative de la consommation d’alcool est la dépréciation, la dégradation des mœurs. En effet, du temps des grands, des anciens Beti, il était impossible, impensable de trouver un jeune homme partageant une cola avec ses parents ou ses–grands–parents dans l’abaa. Il en était de même pour le vin. Car dans nos premiers articles, notamment sur le « Sô», nous avons dit que toutes les activités se pratiquaient entre compagnons d’initiation (avusô) ou alors par groupes d’âges. En outre, en matière d’alimentation, le droit de consommer ou non un aliment était donné par l’aîné c’est–à–dire le père ou le grand–père ou l’oncle.

Il n’y avait donc pas de possibilités pour qu’un jeune homme se coupe les verres de vin avec son père, son oncle ou son grand–père. Encore moins de se passer les mégots de tabac ou de cigarette. Tous ces verrous ont sauté de nos jours.

En effet, dans les bars, bistrots, dans l’abaa, les oncles se passent les verres de vin avec leurs neveux, les pères avec leurs enfants et les grands–mères avec leurs petits–enfants. Tous les verrous qui expliquaient le respect dû aux aînés ont donc sauté, celui qui était craint autrefois se trouvant aujourd’hui être le compagnon de verres. Les conséquences sont à la mesure des dérapages.

Les jeunes hommes qui entretiennent des relations amoureuses avec les femmes de leurs oncles, pères, des femmes âgées, autrefois appelées « Maman », qui entretiennent des relations coupables avec des jeunes garçons qui ont l’âge de leurs enfants, parfois des abus sexuels qui sont exercés sur des femmes âgées, parfois mères de famille, une fois le vin consommé. Car le partage de verres de vin donne l’impression d’être entre amis.

Il est donc illusoire, sinon fuite de responsabilités d’entendre ces grands aujourd’hui déplorer le manque de considération, l’orgueil et la désobéissance dont ils sont l’objet de la part des jeunes, car ils sont eux–mêmes les premiers à casser les icônes, à fouler aux pieds ce qui régissait les relations entre jeunes et personnes âgées, cessant par ce fait d’être les gardiens du temple des bonnes mœurs.

Pour ce qui est de la consommation du tabac, nous reconnaissons qu’il était déjà prisé des anciens et aussi qu’il était consommé par les femmes, plus précisément les vieilles femmes. Aujourd’hui, sa consommation s’est également généralisée.

Par rapport aux hommes, parents, grands–parents et jeunes fument tous au même pied d’égalité, parfois les jeunes plus que les grands. Egalement, plus de jeunes s’initient et même s’accrochent au tabac sous forme de prise, qui était pourtant une affaire de grandes personnes. Cependant, la pipe se fait de plus en plus rare pendant que la cigarette s’impose au tabac traditionnel.

Par rapport aux jeunes, en dehors du fait qu’ils fument énormément, ils ont également adopté du cannabis, communément appelé chanvre indien.

En fait, dans beaucoup de nos sources examinées, nous n’avons jamais ou presque appris que les anciens Beti–Bulu–Fang étaient de grands passionnés du cannabis.

Pourtant de nos jours, un tour au sein des groupes sociaux concernés nous met face à l’évidence. Beaucoup de jeunes et même de grandes personnes Beti–Fang sont devenues des passionnées de cette herbe aux effets désastreux : meurtres, violences physiques et psychologiques, étourderie et bien d’autres encore.

L’on comprend pourquoi les pouvoirs publics depuis la période coloniale mènent une lutte sans merci contre cette herbe qualifiée de fléau social, ainsi que contre les consommateurs. Pour contourner l’acharnement des pouvoirs publics contre ce fléau, d’autres herbes et racines sont consommées par les Beti. Chez les Ntumu et Fang par exemple, l’on mâchonne aussi la racine de l’herbe « ondiñ » dont les effets sont identiques à ceux du cannabis.

Nous ne pouvons, en un mot, que souhaiter une prise de conscience d’abord des patriarches puis des jeunes sur le danger qu’il y a à absorber ces herbes aux effets destructeurs.

Les femmes également ne sont pas restées en marge de la généralisation du tabac. En effet, il ne nous est pas signalé des femmes consommatrices de cannabis, il n’en demeure pas moins que les femmes Beti s’adonnent de plus en plus au tabac

Sous l’effet de la mode, ou alors par mimétisme, des femmes citadines prennent de la cigarette. Le soir, à la nuit tombée, dans les bars, les bistrots, sur les trottoirs, elles se rencontrent beaucoup, ces femmes Beti–Fang avec un bâton de cigarette allumé entre les lèvres ou en mains.

La seule chose que nous souhaitons, c’es que nos sœurs revoient les habitudes importées d’occident, afin d’évaluer lesquelles il faut adopter, et lesquelles ne le méritent pas.

Pour les femmes de campagnes, elles ne fument pas la pipe, pas beaucoup la cigarette, cependant elles prennent le tabac sous des formes multiples. Elles le cueillent, le sèchent au soleil ou au–dessus du feu à la claie, elles le réduisent ensuite en poudre qu’elles mélangent avec la cendre puisées au foyer. Le mélange est ensuite coincé entre la lèvre inférieure et les gencives. D’autres le mettent dans la chevelure, parfois dans les parties intimes ou se purgent carrément. Les raisons de cette dernière méthode n’étant pas reçues, nous préférons nous limiter à la seule évocation.

En bref, le tabac est consommé par plus de femmes chez les Beti aujourd’hui. Ce que nous voulons préciser est que nous ne dénonçons pas la consommation du tabac et de la boisson alcoolisée, ce que nous dénonçons c’est une consommation excessive, sans contrôle, une consommation généralisée, où les tranches d’âge ne servent presque plus à rien. Ce que nous dénonçons, ce sont les abus. Les excès, les viols, les violences, en un mot ce sont les conséquences destructrices que l’abus de ces excitants cause dans la société Beti–Bulu–Fang.

Nous faisons comme depuis les premiers articles, nous faisons une exhortation, un appel à une (re)prise de conscience de la part de toutes les personnes de ce grand peuple, pour se réapproprier les qualités qui étaient celles de nos pères, de nos grands–pères et grands–mères : probité, ardeur au travail, pudeur, responsabilité, respect, obéissance… Nous lançons un appel à tous les Fang–Beti de quelque groupe social qu’il soit, d’être à nouveau nous–mêmes, en laissant de côté les mauvaises habitudes venues d’ailleurs, en adoptant celles qui sont bonnes et en les associant aux nôtres propres pour refaire une société Beti–Fang nouvelle.

Nous gardons espoir que cet appel sera entendu et que les habitudes vont changer.


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