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Ekamba

L’Ekamba est une donne culturelle de certaines ethnies Fang–Beti observée par des belles filles.

I          –           Analyse de l’Existant

Dans les sociétés humaines, point n’est besoin de rappeler que les relations entre les belles–filles et leurs beaux–parents sont on ne peut plus conflictuelles. Au regard de la psychanalyse freudienne, il est clair que les parents de l’homme ont du mal à perdre leur fils au profit d’une « femme » avec qui ils ont d’ailleurs une distance sociale, et qui finalement va le leur phagocyter en faisant de lui (son objet propre) sa propriété privée.

La femme aussi (la belle–fille des autres) va à son tour repousser les beaux–parents en qui elle lit une attitude qui l’empêche à être plus proche de son mari et, la distance sociale qui existe entre eux lui donnera de ne point faire confiance en ces gens qui ne sont pas d’ailleurs ses parents biologiques.

Les uns et les autres que ce soit la belle–fille que ce soit les beaux–parents ont des fixations aux stades freudien dit « anal » et c’est donc cette analité qui leur donne d’être piégés par la « projection ». En psychologie, la projection est le fait d’attribuer à une autre personne ses sentiments coupables ou non, ses craintes. Le mari pour l’une et fils et frères pour les autres est alors investi par chacun au point où la femme alors belle–fille pour les autres se dit « c’est mon mari, nous devons bâtir notre existence » et la belle famille de dire « c’est notre fils, tu ne l’aurais pas connu sans nous » et ceci est une situation interminable de conflit.

L’analité retentionnelle explique le fait que l’individu veut garder une chose ou un objet à lui seul. Celle qui nous intéresse est une analité collective à laquelle l’humanité entière est soumise et personne n’y échappe. A–t–on jamais entendu les gens se demander le pourquoi il n’y a pas d’entente entre la femme et sa belle–famille. Or, ceci n’est pas observable entre l’homme et sa belle–famille. Il est très rare de trouver les familles où règne l’entente et la cohésion totale et si tel est le cas, c’est que : l’une des parties fait d’énormes sacrifices et des fois après la mort du (mari ou fils) un éclatement s’en suit, donc cette paix n’était qu’apparente.

Voici une autre situation qui prévaut. Dans les sociétés ou ethnies où l’on prône le respect absolu ou que dans les familles où la chrétienté étouffe les élans, les belles–filles ne sont que « chose de la cuisine » de la « chambre ». Elles ne peuvent pas exprimer leurs sentiments, car elles sont peu de chose pour oser l’expression publique. Ce cas nous rappelle la société ancestrale où la femme et les enfants n’étaient que des êtres humains sans personnalité sociale.  Dans un cadre très réduit, cela est encore observable surtout là où certains se croient tout permis : mépriser les autres, les violenter et les dépersonnaliser au nom de Dieu Tout–Puissant et de Jésus–Christ son fils.

Comme tout système doit être renversé par les déviants, (notons que la déviance ici n’est point péjorative car est déviant, celui qui s’insurge contre l’ordre habituel des choses). L’Ekamba va alors réorienter les choses, selon son caractère déviant.

II         –           Les circonstances de la pratique d’Ekamba

La culture de Ekamba est du genre danse théâtrale. Les belles–filles dansent l’Ekamba à l’occasion des obsèques, d’une cérémonie de  noces… d’un beau–parent.

III       –           Le déroulement

Dans une occasion où l’Ekamba doit intervenir, toutes les belles–filles se réunissent et organisent leur prestation. Chacune d’elles va arborer la tenue d’un beau–parent qu’elle va imiter. La culture de Ekamba est la reproduction en filigrane du comportement d’un beau–parent donné. Il faut noter que ce n’est pas chose facile d’obtenir ces vêtements. Il faut furtivement entrer dans les chambres des beaux–parents pour les leur subtiliser. Car si les beaux–parents soupçonnent au préalable que l’Ekamba sera bientôt opérationnel,  ils vont fuir le lieu du deuil, fermeraient leur chambre à double serrure… Car, faut–il noter que les danseuses d’Ekamba l’ont toujours fait contre le gré de leurs beaux–parents qui redoutent d’être pris en proie aux railleries.

L’Ekamba offre un spectacle pittoresque. Cela va sans dire. Une fois l’accoutrement obtenu, les actrices font alors irruption dans la cour chantant et dansant au rythme de tambours, de tams–tams, de castagnettes, ensuite, chacune et à tour de rôle invitera un beau–parent de son choix (le défunt ou celui qui est en l’honneur y compris) et surtout celui qu’elle avait déjà bien observé.

A titre d’exemple : le matin au village, les habitants ont l’habitude de raconter leur nuit, c’est–à–dire comment ils ont passé la nuit, ce qu’ils ont eu, ont fait et ont entendu ; un tel a eu une diarrhée sifflotante, tel autre a été rongé par les rongeurs qui grouillent naturellement dans le corps humain ; celui–ci a livré la bataille toute la nuit aux fourmis magnants qui ont pris d’assaut son local, celui–là raconte comment il a été torturé par ses rhumatismes et dit que ses os sont tous fendus en cette matinée tel le bois de chauffage par un bûcheron et dans un style ironique, il le raconte en l’illustrant par des onomatopées tel a kpwang, kpwang ou a kpwebegue, a kpwebegue et un autre infortuné racontera comment il n’a pas fermé l’œil de la nuit justement parce que tous les hiboux (oiseau de mauvais augure) de la contrée sont venus livrer leur concert à son chevet, il va même confirmer avoir reconnu les voix de ses voisins qui réclamaient ses boyaux…). Et les belles–filles très discrètement suivent souvent tous ces beaux récits  et attendent le moment opportun pour les reproduire.

Il faut reconnaître que dans nos villages on retrouve un discours d’un style très relevé, si bien qu’en ville, lorsqu’un individu use d’un style qui remue toujours la matière grise de ses auditeurs, l’on conclue à priori que la socialisation de ce dernier a une trame de fond villageoise. Ceci dit, nos villages sont incontestablement des creusets, des havres de la culture, et ils doivent se constituer en véritables foyers d’instruction et de protection des legs culturels. Car cela vient de nos aïeuls.

Ce que font les belles–filles n’est point discourtois comme peuvent le soutenir mordicus des paranoïdes ceux–là même qui soupçonnent le mépris en tout et en tous à l’encontre de leur personnalité. Loin de là ! C’est plutôt le bon moment de rire et de passer outre ses angoisses et toutes les crises auxquelles une vie morose peut soumettre un individu. L’Ekamba est un anxiolytique naturel ; puisqu’on rit, on se détend même au deuil lorsque l’Ekamba se produit. Et c’est aussi une preuve que les belles–filles malgré tout, restent attentives à ce que font leurs beaux–parents.

IV       –           Ekamba en cas de deuil

Les deuils chez les Fang–Beti sont entourés d’un certain nombre de rites, patrimoine culturel de nos contrées. Lorsque ces rites ou ces cultures sont faits dans l’esprit original qu’ils ont été conçus, cela permettait aux uns et aux autres de faire le deuil. Nous pouvons citer entre autres l’Akus, le Nsili Awu, l’Esani, l’Ekamba, le rite de purification ou de lavement tôt le lendemain du jour de l’inhumation… L’Ekamba qui s’inscrit dans ce sillage a son rôle à jouer, il remet en quelque sorte à la vie celui qu’on vient de perdre « la nature a horreur du vide » sur le défunt s’accomplit alors cette parole biblique « quoique mort il vit ». Puisqu’il sera toujours présent dans les psychismes et par conséquent dans la société. A la fin du spectacle, les belles–filles annoncent que le beau–parent décédé a fui les affrontements et dont, il leur a laissé le champ libre et a reconnu désormais qu’elles sont propriétaires de tous les biens. Sur ce, si les autres qui les écoutent, s’ils désirent que le fuyard soit enterré, ils n’ont qu’à acheter le terrain auprès d’elles dans le cas contraire, ils iront se débrouiller ailleurs. Et si les travaux de construction de la tombe étaient déjà amorcés ou finis, elles somment l’arrêt des travaux ou scellent la tombe jusqu’à ce qu’on leur donne la somme exigée.

V         –           Ekamba dans le cadre des noces

Dans ce cadre, les anciennes belles–filles exposent surtout les conflits qui sous–tendent les relations avec leur belle–famille dans leur vie d’épouse. A cela, celle qui vient nouvellement en mariage doit se préparer à affronter de tels conflits. C’est pour qu’elle comprenne aussitôt que dans un mariage tout n’est pas rose même si le rose symbolise l’amour. C’est en quelque sorte une suggestion qu’on lui fiat.

VI       –           L’Ekamba est–il pratiqué par tous les Fang–Beti ?

Toutes les ethnies Fang–Beti ne pratiquent pas les mêmes traditions. Non pas parce qu’ils les ignorent ou parce que leurs ancêtres ne les leur ont pas appris, mais parce que les Fang–Beti s’ignorent déjà eux–mêmes. Toutes les ethnies Beti selon les historiens sont issues d’un même ancêtre « Beti be Nanga » Beti fils de Nanga. Il n’est alors pas question qu’une tradition typiquement Beti ne soit pas observée par toutes les ethnies.

Quoi que certaines ethnies pensent qu’ells ne sont pas Beti car selon elles la terminologie Beti renvoie au groupe Ewôndô, Bene et Fang renvoie au Bulu, Fang, Ntumu… (Ce désordre–là a été occasionné par les sociologues et anthropologues qui, à la recherche d’un titre universitaire avance du n’importe quoi et les autres valident. Ils ont sorti chez les Beti des classements tels que Fang–Beti, et aujourd’hui certains parlent du grand groupe « Ekang » dans lequel toutes ces ethnies seraient comprises). Nous sommes tous un et indivisibles. La preuve en est que nous nous comprenons tous à quelque écart près. Deux Beti de deux ethnies différentes ne peuvent pas déclarer qu’ils ne se comprennent pas sur toute la ligne. Au cas contraire, l’ignorance de leur source est significative.

Les travaux de Jacob Kouma Zang (inédits) montrent que la langue fang contient tous les lexèmes et morphèmes utilisés chez les Ekang ou Fang–Beti tout ce que vous voulez.

Si alors l’Ekamba qui est même en voie de disparition parce que les gens ne semblent plus disposer le temps pour des choses pareilles, ne se pratique pas chez tous, c’est à cause des raisons sus–évoquées.

   


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