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Pour certains patriarches, des signes annonciateurs existaient. Dans cette rubrique, nous allons examiner la mort d’un chef, d’initié au So notable lorsqu’on sait que la mort d’une femme, d’un enfant ou d’un esclave était plus simple.
Un notable agonisant est entouré des vieillards, ses femmes, les esclaves et souvent ses enfants sont ligotés et enfermés dans une chambre. Une fois son dernier souffle lâché, ses sœurs, ses filles, ses parents, tous poussent de grandes lamentations de part et d’autre. On publie sa mort aux amis, parents et proches qui sont au loin, au moyen du « tam–tam de la mort » : Nkùl/Nku’u awù, qui dit son ndân ou éndan suivi de l’invitation. Les veuves toutes en pleurs. Les parentes du défunt vont soit chanter une berceuse qui va définitivement endormir le défunt, soit discourir tout en pleurant, sur les noms, les gloires, les hauts faits du défunt, déplorant ainsi sa perte. C’est elles qui vont également monter la garde sur le corps pour empêcher que des esprits mal intentionnés ne parviennent à soustraire quelque élément à des fins de sorcellerie. Lavé par des vieilles femmes, le corps, oint de poudre de padouk (baa) et d’huile, paré de ses atours (parfois aussi des ses trophées) est adossé dans son siège sur le lit. Il préside par ce fait la séance. Les esclaves, les clients ou parfois ses fils sont chargés de creuser la tombe, ils le font nus afin de ne retenir aucune souillure. Le cadavre, exposé au dehors ne peut être réintroduit dans une case. Car le voyage est irréversible. Lorsque les fossoyeurs ont atteint une profondeur de 1,5 m, ils creusent une niche mortuaire du côté gauche ; c’est là qu’il sera déposé, lors de l’inhumation. La tombe est creusée devant les cases ou derrière, l’abaa ou alors sur le seuil.
Les invités arrivent du plus loin possible selon la portée du Nkùl awù : hommes et femmes accourent. Les petits enfants, interdits de voir un corps ne sont pas concernés. Une arrivée est cependant très redoutée ; c’est celle des neveux utérins ; ce sont les justiciers. Ils se couvrent de charbon, de kaolin blanc, de padouk rouge ; comme pour la guerre. Pour comprendre cette attitude, il faut se rappeler que pour le Beti, un grand initié, affublé de ses protections ne saurait mourir sans que la cause soit imputée à un tiers : soit les gens et principalement ses femmes ont laissé mourir leur oncle, sans prendre soin de lui, soit les clients, ses (potentiels) rivaux l’ont tué pour s’emparer de ses épouses. Il leur faut par conséquent le venger. Les compagnons d’initiation de celui–ci les rejoignent d’ailleurs, avec des écorces pour le poison d’épreuve, des cordes pour pendre les coupables. Ils vont exécuter autant de personnes que bon leur semblera. Cette exécution présente une double signification : venger le défunt que l’on a « délibérément » tué ; lui procurer des gens, mieux des serviteurs qui vont l’accompagner et continuer à le servir dans l’au–delà ; sinon il ne sera jamais accepté par les siens et devra alors mendier pour survivre.
Il ne serait nullement exagéré de rappeler que ces multiples étapes redoutables et redoutées n’interviennent qu’en cas de décès d’un « mfan mod » ; celui qui a laissé plusieurs veuves et une nombreuse progéniture. Une fois donc arrivés au village, les neveux vont se précipiter dans la case où sont enfermées les épouses du défunt et en extraire autant d’épouses qu’ils voudront bien et les remettre aux exécuteurs que sont les vieillards. Mains liées derrière le dos, chaque victime est ointe d’argile blanche, on lui fait absorber/consommer des boulettes de l’arbre élôn, elle est trainée jusqu’à l’arbre le plus proche (le plus souvent un safoutier) et pendue. C’est à partir de ce moment que pouvait retentir l’ésana. De quoi s’agit–il en fait ? L’ésana ou ésani est une ordalie en même temps qu’une pantomime guerrière rappelant les exploits du défunt, tout en rejetant sur lui la faute de son trépas et en réaffirmant la victoire de son lignage sur la mort. Lié au rituel tso/so, où il était dansé pour la première fois, l’ésâni n’a lieu que pour le mod dzâl, un « vrai homme » fondateur de village. Il est exécuté par les frères ou compagnons d’initiation du défunt (4 le plus souvent), armés de la tige divinatoire d’odzôm/adjôm. Au son du tam–tam, ces vieillards dansent avec les fils du défunt, jusqu’au soir, à la tombée de la nuit où il y aura inhumation. Car on ne devait jamais enterrer un initié avant la tombée de la nuit. Si cela était fait, on l’entendait rugir et aboyer la nuit, ou alors une tornade s’abattait sur le village pendant 24 heures au moins. Pour occuper la journée donc, les neveux utérins et les vieillards organisaient des exécutions et ordalies : exécution pour toute personne qui avait été accusée par le défunt, surtout lorsqu’il s’agissait d’une femme, d’un client ou d’un esclave. Tous les autres subalternes ; suspects de complicité, étaient soumis à l’ordalie. L’sâna ou ésâni avait quatre (4) objectifs principaux en relation avec l’ordalie : a) Rappeler aux femmes et aux dépendants en général, l’humilité de leur condition b) Satisfaire l’égalitarisme beti, le sens de la justice immanente, la jalousie de ceux et celles qui ne s’estimaient pas reconnus du temps du défunt ; qui a été trop heureux devant ensuite le payer c) Venger le mort d) Accompagner le mort pour rendre son séjour dans l’au–delà agréable. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle sa femme préférée était souvent enterrée avec lui. A ces raisons exécutoires, il faut ajouter d’autres, bien plus gaies et regovirantes – Les danseurs, tous initiés, habillés de leurs attributs de guerre et du tso/so exécutent la danse de la victoire, en mâchonnant un mélange de poivre de guinée, de cola, de silique et d’autres éléments, ils vont jusqu’au mort et lui crachent cette bouchée sur le visage et la poitrine en signe de bénédiction. Il s’agit ici de lui donner la force d’affronter le nouveau monde, l’espoir d’une nouvelle victoire, d’une reconnaissance quand on affronte la mort. – L’esâna est également le rappel des diverses actions d’éclat du défunt. Ses compagnons de guerre rappellent son ndân et ses devises de guerre en chantant le chant du so ; c’est la commémoration de la vie guerrière du défunt parmi ses compagnons. – L’ésâni en outre est une occasion d’exprimer les regrets qu’a le défunt de partir, le moyen de rejeter sur lui la principale responsabilité mais surtout une exhortation à se résigner à l’inévitable. Chacun de ces aspects pouvaient être joué par un tambour spécifique. – Enfin par la danse guerrière, la présentation et l’exhibition du matériel de guerre et des talismans du so, les danseurs signifient au défunt qu’il n’a plus rien d’agréable à espérer des vivants, ils montrent au partant que le lignage dispose encore de guerriers décidés à le défendre. Et c’est le rythme de danse, qui consiste à gambader et sautiller sur place, qui a probablement donner le nom de l’esâna ou ésâni qui viendrait du verbe (Sân ou asân) qui signifie « sauter de joie ». Ces cérémonies vont s’alterner (ésâni–ordalies–exécutions) jusqu’à la tombée de la nuit, heure de l’inhumation.
Elle intervient au coucher du soleil. Car la disparition d’un grand initié, d’un grand homme est la disparition du soleil, la tombée de la nuit. Le mépris de ce caractère solaire peut causer la colère du défunt, tout comme son respect favorise l’espoir de reconnaissance pour ce dernier. Le transport du corps est fait par les fossoyeurs ; c’est un moment redoutable car toute réaction ou tout mouvement imprévu est interprété comme un signe ou un message du défunt, ou alors une manifestation flagrante de sorcellerie. Un nouveau mort est généralement inhumé nu, dépouillé de son ornement à l’exception d’un objet favori tel la pipe. Si des difficultés à découvrir le coupable de sa mort existent, on l’enterre avec des bikié attachés au poignet, signe qu’il doit lui–même payer sa vengeance dans l’au–delà. La dépouille est couchée dans la niche mortuaire sur le côté gauche, la face tournée vers l’ouverture, c’est–à–dire vers l’ouest, vers la mer, le royaume des morts. Le bras droit est levé tout comme celui du jeune initié au so au sortir du tombeau souterrain symbolique. L’entrée de la chambre funéraire est bloquée avec une écorce d’arbre pour empêcher la terre d’y pénétrer. Les corps sélectionnés sont mis en place dans la fosse, sa femme préférée elle, a été placée aux côtés de son mari. La lance du défunt est cassée. Du transport du corps à la mise en terre, l’on joue l’Osenge ; danse funèbre qui n’est jouée que lors de la mise en terre, en même temps que les tam–tams redisent les mérites et les exploits du défunt. Chaque proche et ami du défunt vient jeter une poignée de terre dans la fosse en disant des paroles d’adieu. Et les fossoyeurs comblent la fosse. A côté du tertre qui s’est levé, on insalle un autel (anâg) où les objets qu’on destine à accompagner le mort sont placés : plat, cuillère, pipe, talisman, arme … etc, également de la nourriture, une marmite rituelle (étog) durant la période de deuil. Cette marmite est utilisée par le ngengañ pour laver les survivants de la mort. Cependant, certains grands chefs beti, les grands initiés et les grands mingengân refusaient d’être inhumés dans plusieurs groupes beti/fang. Ils le disaient bien avant leur mort. De tels morts se faisaient exposer dans certains grands arbres de la forêt aux vertus reconnues ; personnalités rituelles importantes : le dùm (fromagers) aux gigantesques contreforts, l’oveñ (Guibourtia tesmani Cesalpinacées), l’esingan « effroi des rituels » aux mêmes vertus que l’oveñ et qui représente la protection, l’ayos, (triplochiton scleroxylon, Stercularicées) arbre protecteur dont l’écorce servait de revêtement corporel et des cases. Les trous de ces arbres étaient ensuite bouchés pour empêcher les grands animaux d’atteindre le corps. Celui–ci venait cependant à disparaître au bout de quelques jours. L’explication de tout cela pourrait être qu’appartenant à une société secrète quelconque, les grands initiés promettaient probablement leur dépouille aux autres membres de la société. Cela pourrait également expliquer la multitude de crânes dont disposaient les grands initiateurs du melân, du ngi, …. Cet aspect ressort également l’idée selon laquelle pour les Beti, la brousse est le vrai séjour des morts qui se transforment en oiseaux, en grands animaux, ou dont les esprits habitent les arbres. En un mot l’inhumation terminée, place était donnée au festin mortuaire : ndam awù.
C’est le festin qui est offert aux invités le jour de l’enterrement. Car chez le Beti, il faut offrir à manger aux gens lorsqu’on les convoque chez soi. Cependant, les veuves étant enfermées ou même tuées, et les filles fort occupées à pleurer, les neveux tuaient tout ce qui leur tombait sous la main et donnaient à préparer à leurs femmes. N’oublions pas que chez le Beti, le neveu utérin dispose de tous les droits chez son oncle. Cela le devenait encore plus lors du deuil. Ils font donc main basse sur le cheptel et les provisions, offrent cette nourriture à tout le monde le soir, pendant les dernières phases de l’esâna : c’est le ndam awù. Pour limiter la déprédation de leurs cousins, les fils/héritiers avec l’aide des frères du père défunt calment l’ardeur de ceux–ci en fixant le jour des assises familiales. Il n’y aura plus qu’à attendre le lendemain pour qu’aient lieu les cérémonies du veuvage. (akùs). Nous avons déjà insisté sur le fait que de telles cérémonies n’avaient lieu que pour un grand initié, un mfan mod, un nkukuma. Qu’en était–il donc pour l’enterrement ou le deuil d’un « zeze mbot » ; homme de rien, pour une femme, un enfant, un lépreux ? Pour le deuil d’un homme pauvre, c’est–à–dire qui n’a eu à épouser qu’une seule femme, les cérémonies avaient lieu en un seul jour. Sa famille réunie, on l’enterrait nu, couché sur le dos ; l’on tuait ce qu’il avait de cheptel, l’offrait aux invités. Le porte–parole de la famille rendait compte de la cause de la mort, et après quelques concertations, l’on se séparait. C’est le lendemain que les mingongon (belles sœurs) venaient officier les épreuves du veuvage à la veuve.
Pour la mort d’un esclave, ou d’un client (ntobo), les cérémonies étaient similaires à celles d’un homme pauvre ou de « rien ». Cependant, si la cause de sa mort était imputée à une quelconque personne, celle–ci devait payer le dommage causé au maître du défunt.
Si la femme avant de mourir a désigné son meurtrier, celui–ci devra fournir une autre femme au mari veuf, ou un esclave. Avant de passer bien–sûr aux ordalies. Sinon, on procède par une autopsie réalisée par un esclave pour découvrir un évù (sorcellerie) qui serait sans aucun doute la cause de la mort. Cela fait, la famille de la femme devra dédommager le mari. Car c’est elle qui a donné l’évù à la femme. Puis avait lieu la cérémonie d’inhumation ; les femmes envoyaient certaines d’entre elles aux différents coins du village, elles appelaient la morte que l’on entendait répondre du fond de la forêt. Cela signifiait qu’elle était parvenue à son but, et on la mettait dès lors en terre. Les épreuves du veuvage, beaucoup plus souples pour les hommes, avaient lieu le lendemain. Pour la mort d’un enfant dans l’adolescence, fille ou garçon, il n’y a pas de cérémonie grandiose. La cause de la mort proclamée, l’on se lamente, danse et tire des salves à coups de fusil. Après la mise en terre, le festin est offert par la famille, la mère porte le deuil, aussi longtemps qu’elle voudra. Pour un bébé ou un nouveau–né, le corps est enlevé à sa mère, puis avant l’enterrement, des épreuves sont imposées à la mère avec le corps de son enfant. Par exemple, le porter au dos, à la hanche, le coucher devant le pas de la porte…, à la fin, il est mis en terre par les vieilles femmes, nu, couché sur des feuilles de bananier ou d’arbres appropriés. Dans certains groupes beti–fang cependant, c’est aux hommes que revient d’enterrer un enfant. La tombe est le plus souvent creusée tout près de la case maternelle, tout cela pour que la mère ait encore des enfants. Sinon il n’en sera plus jamais rien. Et de nos jours encore, chez les Ntumu au Sud Cameroun et même chez ceux qui se trouvent au Gabon et en Guinée Equatoriale, cette pratique est encore vivace, très respectée, et ceux qui ne la respectent pas se retrouvent jusqu’à leur vieillesse sans enfant. Le dernier cas recensé est celui de la mort d’un homme lépreux, ou atteint d’une maladie grave dont la contagion est avérée. La fosse creusée par les esclaves, est toute tapissée d’épines. On utilise pour cela l’arbuste épineux asâs ou okaâs (dicrostachys glomerata, Mimosacées). C’est sur ces épines qu’on dépose le corps et l’on recouvre la fosse. Si cela n’est pas fait, la lèpre s’étendrait à tout le village. Dans d’autres localités, le lépreux est enterré loin du village, dans la brousse, où il était d’ailleurs laissé en quarantaine de son vivant. En d’autres cas, après la mort d’un lépreux abandonné en brousse où on lui apportait la nourriture et le feu, il arrivait parfois qu’on casse sa cabane sur le corps et qu’on y mette le feu. Comme pour réduire cette malédiction en cendres. |