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Il n’avait cependant pas part à l’héritage et était même traité tel un serviteur. Ceci s’explique par le fait que son père ne lui a pas transmis la véritable puissance ou la véritable humanité qui avait fait de lui un mfan mod « véritable homme ». Il est donc un « zeze mod » ; homme vide. Si le grand–père ou son oncle maternel n’ont pas d’autres fils l’enfant naturel était adopté. Le lignage impose le respect du lien de sang, et par conséquent interdit l’inceste. Cependant chez le Beti chaque garçon, lorsqu’il devient homme se marie et s’installe seul devenant ainsi chef de la nouvelle famille. Au départ, le lignage se fragmente tout en gardant des liens solides qui au cours du temps s’affaiblissent au point que l’interdit d’inceste et de guerre finit par être violé. (C’est le cas avant les Européens, entre Mvog Zang et Mvog Manzé dans la région de Minlaaba). Cela s’explique d’abord par l’accroissement des rivalités et compétition entre lignages ; ensuite par l’abandon de l’exogamie et de l’exopolémie claniques.
La segmentation renvoie au dépècement du lignage, sa division dans l’espace. Il s’agit ici de comprendre qu’une fois que le groupe humain atteint un volume considérable, certains se détachent pour devenir plus indépendants, plus autonomes. Ainsi deux principaux procédés sont observés : Une segmentation conciliée, décidée par le chef du lignage, ou le fils ainé : lorsqu’un jeune homme atteint l’âge de se marier. L’initiative était du père ou du fils aîné qui marie le jeune en question. Il lui montrait un emplacement stratégique (près d’un cours d’eau, sur une colline…), vierge, à une distance proche du village (300–400 mètres). Le jeune construisait une case pour sa femme, une pour lui et aussi l’abaa (maison des hommes) en respectant bien sûr les aspects sociaux et rituels de fondation dirigés par le père. L’endroit où serait la tête du village, la position de l’abaa. Là le père creusait un trou, y déféquait. C’est dans ce trou que l’on plantait le poteau central de l’aba’a. Le père fondait ainsi le village de son fils par une substance venant de lui (une fois de plus). Les installations faites, un repas de bénédiction était offert, précisions que la responsabilité et l’indépendance n’étaient accordées au nom du lignage, qu’à un « vrai homme » ; un mfañ mod. Cette segmentation conciliée s’explique par le fait que si le fils a de la personnalité, il peut ravir l’autorité à son père. Il ne peut donc s’affirmer qu’en se distanciant de son père. D’où les adages : « deux coqs ne peuvent chanter sur une même basse–cour », « Une seule marmite ne peut porter deux têtes d’éléphant ». Le deuxième mode de segmentation est de force, par la violence, dans une atmosphère de crise. Cette segmentation a pour conséquence d’étendre l’aire du lignage en « tache d’huile », un ou plusieurs éléments se trouvant projeté à une distance plus considérable. Elle a lieu à l’occasion d’une dispute, d’un conflit entre un père et son/ses fils, entre frères, entre un mari et sa femme qui emporte ses enfants. (ainsi le 29 juillet 1891, Esomba Ewodo lors d’une rixe tue son frère, Mbudu Eyamo, il abandonne son village et s’installe au pied du mont Elumden 42 km plus loin, ou encore l’éclatement des Enoa de Yaoundé après un conflit d’emprunt de cheptel…etc). Cependant la séparation, la dispersion et surtout l’éloignement finissaient par éteindre les haines et les rancœurs et les liens de parenté subsistaient. En fait, l’expansion géographique des Beti traduit leur prépondérance politique dont la clé réside au fait que le lignage s’étend le plus possible vers des terres plus fertiles pouvant assurer de bonnes récoltes, vers de nouveaux peuples tout en conservant le plus possible les avantages déjà acquis.
Elle renvoie ici au lien de consanguinité. Pour le Beti, il s’agit des liens existant entre un individu et sa famille paternelle et maternelle. C’est le Nda bod ; la souche commune, l’ensemble des consanguins, mêmes dispersés. Il s’agit ici de garder des liens avec les oncles et tantes maternels et paternels, les grands pères et mères paternels et maternels ainsi que leur descendance. C’est ainsi que le terme « sôngô » ou « sông » désigne la tante paternelle, « nyaindôm » désigne l’oncle maternel, « nyia » désigne la tante maternelle. L’enfant est tenu de respecter les oncles et tantes au même titre que les parents géniteurs ; qui l’appellent d’ailleurs « mân kâl » ou « môn kaa » pour les oncles maternels, désignant littéralement « l’enfant de ma sœur », ou « môn » pour les tantes désignant « mon enfant ». Ces liens ressortent le plus nettement dans la relation oncle–maternel–neveu. En effet, l’oncle apparaît comme un débiteur envers son neveu car le mariage de sa sœur lui a permis de s’établir et de prospérer grâce à la dot. Par ce fait, le neveu a des droits sur les biens de son oncle ; ce dernier n’a même pas le droit de se fâcher si son neveu est l’amant de l’une de ses épouses. L’oncle maternel est également tenu de fournir à son neveu le germe de la richesse : « biañ akùma » ou médicament pour la richesse. L’oncle en fait doit tout faire pour ne pas irriter son neveu qui peut causer des malheurs à son oncle : s’il pose la main sur la tête d’une veuve de son oncle, celle–ci attrape des poux ou des maux de tête, s’il grimpe sur un arbre fruitier du patriclan de sa mère, celui–ci cesse de produire. S’il reçoit directement en mains des semences, il arrache le pouvoir de produire au clan de sa mère ; il faut les déposer à terre. Il est donc l’objet d’une grande attention. En dehors du neveu (nièce), une grande attention est également accordée aux petits–fils : « Ndié », « Ndaé », « ndeñ » de la part des grands parents. On les gave de cadeaux, ils sont chéris. Le grand–parent ne peut taper sur son petit–fils, au risque de voir cette main enfler. Si le petit–fils veut plaisanter sur son grand–parent, il faut lui faire un présent : « edzô ». Nous avons précédemment appris que le lignage avec le temps se segmentait, se dispersait au loin pour des raisons vues, un élément permettait de maintenir le contact direct avec ses consanguins : le Nkùl ; tambour monoxyle à fente. C’était le téléphone qui maintenait la communication entre individus, abolissant la distance et socialisant la solitude. Ainsi l’individu ne perdait pas le soutien familial.
Si le Beti s’épanouit dans sa famille composée des membres du clan maternel et du clan paternel, il se crée également des alliances hors du cadre familial. C’est le cas des relations créées lors du mariage. En effet, lors du mariage, les parents des deux conjoints deviennent des compères ou commère. Leurs relations sont des relations d’amitié et de réciprocité. Ils s’appellent « moé », « mvoé »… De même les frères et sœurs de l’époux appellent les frères de l’épouse beau–frère, (n’nyala, m’miale…) et ceux de l’épouse en font autant. Les sœurs cadettes de l’épouse appellent le mari de celle–ci « nnom » (mon mari) tandis que les sœurs ainées l’appellent beau–fils ou gendre (nnom ngon). Cette situation s’explique par le fait que les sœurs cadettes de l’épouse peuvent remplacer celle–ci en cas de décès ou lors d’un voyage si celui est seul et s’arrête dans sa belle–famille. Tandis que la sœur ainée ne peut le faire. Le beau–fils doit appeler sa belle–mère « mère » et « père » son beau–père ; la fille est tenue de faire autant auprès de ses beaux–parents. Ceux–ci sont son refuge en temps de dispute avec son mari, ils prennent sa défense contre son mari. La belle–fille ; appelée « mbom » doit aider sa belle–mère qui continuera de l’éduquer comme jadis sa mère. Les exigences du beau–fils (Nnom ngon) envers ses beaux–parents sont encore plus rigoureuses. Il leur doit un respect absolu, se doit de les combler de cadeaux à chaque fois que l’occasion se présente. D’où l’adage beti qui considère que « la hotte de la belle–mère n’est jamais remplie ». la belle–mère fait l’objet d’un interdit, d’un tabou : le beau–fils ne doit pas voir sa belle–mère manger ; et celle–ci doit rester dans la cuisine, évitant de sortir dans la cour. Dans la même lignée des relations d’alliance, on introduit aussi les multiples relations d’amitié : après une guerre, une aventure commune… Cette forme de relation était renforcée par l’hospitalité dont jouissaient les visiteurs chez leurs hôtes : logement, hébergement, épanouissement étaient de rigueur entre amis. Ainsi un homme pouvait–il céder sa femme, sa fille, sa sœur à son ami durant le séjour de son visiteur. ?La durée du séjour d’un visiteur était d’ailleurs fixée par son hôte. Il aidait son hôte dans ses tâches et prenait part à toutes les activités du village : chasse, pêche, culture, déboisement… Son hôte le gavait de cadeaux le jour du départ et pouvait même l’accompagner jusque dans son village, faisant ainsi l’objet d’autant d’attention voire plus. En somme si le Beti respecte sa consanguinité, il nourrit également les relations crées lors du mariage car en fait dit–on chez le Beti « Tout homme a trois villages, celui où il est né, le village maternel et sa belle–famille ». De même, les relations d’amitié constituent un moyen d’étendre son espace vital pacifique.
Le principe du partage de l’héritage revêt toute sa valeur dans la mesure où cela évitait un déchirement brutal de la famille du défunt dû à la dispute qui pourrait survenir entre les ayants droits. C’est pourquoi le partage obéît à une justice distributive qui exigeait savoir et savoir–faire du trancheur (nting ntôl) qui était pour la circonstance assisté de tous les notables. Un confort était assuré aux acteurs : les notables exécuteurs du testament et les héritiers. L’héritage (élig) se composait de deux éléments principaux : le pouvoir ou autorité du défunt, et les biens qu’il possédait (femmes, esclaves, filles, plantations….) Rappelons ici que la terre n’en faisait pas partie. Les ayant–droits à la succession étaient les fils légitimes du défunt ; les enfants naturels étaient donc exclus, ainsi que les frères du défunt dans le cas des biens matériels. Car pour les Beti–Fang, le frère du défunt ayant hérité ou étant héritier virtuel de son père n’avait rien à réclamer à son frère. Un adapte Beti est explicite à propos : « Un coq ne doit chanter que dans son poulailler ». Cependant, le frère pouvait hériter de l’autorité, pouvoir moral du défunt dans le cas où ses fils sont reconnus incapables de l’assurer par les notables ; ainsi que des femmes qui peuvent encore être mariées dans le cas où l’aîné des fils est encore mineur. On retrouve cette habitude chez les Ntumu du Sud. Un autre cas est l’absence d’héritier direct ; c’est–à–dire que si le défunt n’a pas laissé d’enfant, alors ses frères peuvent hériter de lui. Les exécuteurs du partage sont les hommes mûrs (benyabo–mvié) de son nda–bod, du lignage du défunt. Ils l’exécutent munis de leurs attributs de pouvoir (chasse–mouche, gibecière, rasoir, pipe…). La présidence des cérémonies et la parole sont données d’un commun accord au notable le plus éloquent, le plus éminent et le plus proche du défunt. Dans certains cas, c’est le plus âgé ou celui qui a hérité l’autorité de son père ou encore un oncle maternel du défunt ou des héritiers. Les testamentaires sont généralement désintéressés dans l’héritage. L’aîné s’il est jugé apte hérite incontestablement de l’autorité et du pouvoir moral du défunt. Ses dettes remboursées, tous les biens sont partagés entres les fils (si le père était monogame) ou les groupes de fils (dans le cas de la polygamie) en fonction (au prorata) de la valeur estimée de chacune de leurs mères respectives. Ainsi l’estimation de la mère a pour base la valeur de la compensation matrimoniale qui a été donnée pour elle. Plus elle a de la valeur, plus la part du groupe de ses fils sera importante. Pour ce faire, on tient compte du travail qu’elle aura effectué, des femmes qui parfois sont ses sœurs et cousines qu’elle a attirées chez son mari, des fils et surtout des filles qu’elle a enfantés et dont chacune est une source de richesse virtuelle pour son mari. Ainsi femmes, enfants (filles mineurs), esclaves, autres biens étaient remis à l’aîné de chaque groupe de fils qui à son tour effectuait le partage avec ses frères utérins. Cependant, les dépenses effectuées par le père pour marier où installer un des héritiers étaient le plus souvent considérées comme des acomptes d’héritage ; et de ce fait réduites de la part correspondante. Les femmes âgées, non productives revenaient à l’aîné lorsqu’elles n’avaient pas de fils. L’aîné recevait dès lors quelques compensations. C’est lui également qui devait marier ses frères cadets qui étaient célibataires. Pour ce faire les épouses encore jeunes du père pouvaient revenir à l’un de ses fils, ou alors à l’ainé. Dans certains groupes beti cependant c’est la veuve qui décidait chez qui elle voulait se rendre, ou qui elle voulait épouser. En cas de contestation, les notables se retiraient pour un conciliabule (esôg) et une fois l’unanimité retrouvée, un rassemblement général avait encore lieu et le porte parole donnait la décision des vieillards. Dans tous les cas, le principe dominant est de ne pas être strict selon des normes abstraites, subjectives, mais de prendre en considération la situation concrète de la famille afin d’effectuer un partage impartial pour pourvoir chacun sans pour autant désavantager personne. Une fois le partage de l’élig accompli, le président de séance martèle encore la nécessité de l’union, de l’unanimité afin de prévenir les discordes et la désunion. Le partage est dès lors irrévocable. Néanmoins, quelque soit la volonté affichée par les uns et les autres de rester unis, le partage de l’héritage consacre bien la scission des lignages, la fin de la communauté familiale, le déchirement au sein d’une cohésion jusque–là maintenue par le père. Car en fait seuls les frères mineurs qui n’ont pas encore la force de s’établir vont continuer à accepter l’autorité d’un autre frère. Le partage de l’élig tout en essayant d’éviter les mésententes entre frères germains, causait la segmentation du groupe Beti. Eléments de l’économie Comme toutes les sociétés du monde, l’homme Beti recherche la prospérité, l’épanouissement, le bien–être. C’est pourquoi tout homme cherche à être un « nkùkùma » ou « nkùkùm ». C’est–à–dire un homme riche. L’homme riche c’est celui qui a construit de nombreuses cases, un grand village qui a fait de nombreux enfants et surtout qui a plusieurs femmes/épouses.
Dans de nombreuses sociétés traditionnelles, la question de mariage est fort complexe et parfois elle est le sujet de multiples exigences. Pour les Beti, de nombreux observateurs ont parlé d’une liberté sexuelle des jeunes avant le mariage. Qu’en–est–il exactement ? Le mariage est une union d’un garçon avec une fille. Mais les deux n’ont pas le même parcours avant l’aboutissement au mariage. En effet pour la fille, l’éducation à la sexualité, aux rapports avec l’autre sexe commence très tôt. Elle se fait par d’autres femmes, souvent plus âgées et mariées, lors des parties de pêche (alôg) où les scènes et paroles obscènes pleuvent. Durant ces occasions, les femmes montrent, disent, informent les jeunes filles sur leur future vie de femme, d’épouse. Lors des mêmes occasions, les femmes pouvaient commencer la perforation de l’hymen d’une jeune fille. Celle–ci devait cependant avoir eu ses premières menstrues (ayeñ ngon) ; et le plus souvent elle était déjà mariée. Elle pouvait désormais avoir des rapports avec son mari. L’indépendance sexuelle dont certains font écho ne concernait donc jamais les petites filles qui le plus souvent étaient d’ailleurs mariées très tôt. Cependant, pour le cas des filles qui ont déjà été mariées au moins une fois, il est clair qu’elle échappe à la rigueur et au contrôle de la vie sexuelle des femmes. En effet, une fille qui a été mariée et qui pour cause de divorce ou pour tout autre problème rentre dans sa famille jouit d’une liberté sexuelle notable. Un adage explique pourquoi « la fille n’est pas l’épouse de le père ». Comme pour dire que le père ne devait plus contrôler de près l’intimité sexuelle de sa fille. Pour ce qui était des filles restées longtemps dans leur famille sans être mariées précocement, rester vierge le plus longtemps possible était une sorte de luxe pour le père. Certains exigeaient pour cela, que leur fille gardasse le sexe à découvert, prouvant ainsi qu’elle n’avait pas encore de honte (osôn). Pour le garçon, par contre, la donne était autre. En effet, le jeune garçon atteignait la puberté dans une ignorance totale de la réalité sexuelle. Les parents se gardant bien de leur donner la moindre information. Deux raisons expliquent cet état de chose. D’abord, il faut que le garçon aide ses parents le plus longtemps possible dans leurs travaux. En plus il ne fallait précocement pas causer les compensations matrimoniales. Pour cela on maintenait le jeune garçon incirconcis le plus longtemps possible car un homme incirconcis ne pouvait avoir de rapports sexuels. Cela était l’objet d’un scandale. Cependant, c’est toujours auprès d’une femme mure que le jeune garçon découvrait les « secrets du lit ». La plupart du temps c’était une coépouse à sa mère qui s’en chargeait. De cette première expérience, le jeune homme va satisfaire son désir sexuel soit par l’adultère (ngôbinda ou medziân), soit par l’ebôngon ou visite à fille libre (vagin de la fille, au lit de la fille). Pour le premier cas, bien que défendue, l’adultère était la seule solution pour un jeune installé dans son mvôg, où toutes les filles sont ses sœurs, de pratiquer l’activité sexuelle, malgré les risques de palabres, amendes… Pour le second cas, le jeune homme rend visite à une fille libre, plus ou moins connue de lui, accompagné d’un ami parenté à la fille qui l’introduirait dans la famille de la fille. Il emporte des présents pour son élue et sa belle–mère. La fille peut aussi bien refuser qu’accepter. S’il était accepté, il était entretenu par son hôte qui passait la nuit avec lui pour lui « réchauffer les pieds la nuit ». Il peut y passer deux, trois ou quatre nuits de suite. L’ebôngon n’engage cependant en rien car la jeune peut recevoir d’autres jeunes de suite, tout comme le même garçon peut se rendre chez d’autres filles de suite. Après avoir ainsi ‘jouer la vie », chaque fille ou garçon pense au mariage, où il faudra procréer, pur ainsi prouver sa fécondité et sa virilité, clé pour être considéré des autres comme une femme ou comme un homme ; occasion pour l’homme de commencer son ascension jusqu’au Nkùkùma ou homme riche. En un mot, si le libertinage sexuel n’est pas connu des Beti, la virginité n’en n’est pas une obsession, une condition sine–qua–non pour être considéré dans la société.
Avoir une femme pour les Beti n’obéissait pas à une règle unique préétablie. On pouvait avoir une femme de plusieurs manières. C’est pourquoi on parle de Bekân meluk c’est–à–dire les différents types de mariage. a) Quoi qu’il en soit, la forme la plus courante est le mariage de requête « alùg édzae ». « edzae » dérivant du verbe « dzae » qui signifie « mendier », c’est l’aboutissement possible de l’ebôngon. La famille du garçon vient demander à celle de la fille la main de celle–ci. Pour que cette dernière leur soit remise, il fallait d’abord verser la majeure partie de la compensation matrimoniale : « meveg ». Pour ce faire, le garçon pouvait marier sa sœur appariée complémentaire « atùd » en même temps que lui. Les biens qu’il y reçoit sont directement versés pour son mariage. Sinon il pouvait bénéficier de l’aide de son père : « alùg nlô esiâ », ou alors le garçon allait réclamer la dot chez son oncle maternel. On parlait alors de « alùg nkôba » : mariage sans pouvoir payer. L’ébôngon pouvait cependant se terminer d’une autre façon qui désigne une autre forme de mariage. b) En effet, si le mariage de requête permettait au père du garçon de se préparer pour aller trouver son pair, le mariage par rapt, ou par enlèvement mettait les parents devant un fait accompli. C’était l’ « alùug abom » qui nécessitait souvent l’intervention d’un philtre d’amour (mbon ayas) pour décider la jeune fille à s’enfuir avec le garçon. Pour cette forme de mariage, le garçon devait verser toute la dot pour que les enfants qui pourraient naître de ce mariage soit siens. c) Une autre forme de mariage, l’une de celles qui montrent la sociabilité du Beti–Fang était de donner sa fille ou sa sœur à un jeune homme ou un homme adulte pour un mérite quelconque : belle prestance, courage, générosité, bon guerrier… Cette habitude obéissait à l’adage « A l’homme de belles mœurs, donne ta fille ». Cette marque de générosité n’était cependant pas entièrement désintéressée. La famille de la fille s’attachait par un tel acte les faveurs de son gendre, qui ripostait bien sûr ave munificence en gavant sa belle–famille de dons. C’est cette forme de mariage que pratiquaient beaucoup les chefs qui recevaient des femmes –surtout de très jeunes– en cadeaux ; d) Les hommes pour eux pratiquaient beaucoup le « mariage qui coupe le chemin » : « alug etsig yeñ ». Il consistait à tout apporter en un coup pour la dot, coupant ainsi court aux complications et atermoiements de tout genre. e) Il existait également le mariage par échange « efolan », « alùg mvôl », qui consistait à un échange de filles, de femmes ente deux mvog, deux lignages. C’est cette forme de mariage qui scellait l’alliance entre deux mvog, le plus souvent à la suite de querelles ou de guerre. Cependant si l’une des filles ainsi échangées venait à faire des enfants que l’autre n’en faisait pas, les enfants revenaient à la famille paternelle de la féconde. Les autres formes de mariage observées étaient « l’alùg eyian » ou mariage par remplacement ou sosorat, qui intervenait soit dans le cas où une fille mariée n’arrivait pas à faire d’enfants, ou alors dans le cas où la sœur ainée venait à mourir peu après son mariage ; nous avons le « mariage comme part d’héritage » (alùg ngab’elig), le « mariage en dommages–intérêts (alùg ntañ) qui intervenait comme compensation d’un meurtre. Le « mariage de rachat » qui consistait à donner une fille en échange d’un captif pour dettes ou d’un captif de guerre. On l’appelait « alùug ekode »….. D’autres enfin se mariaientt en prenant une femme qui était un gage dans le (s) jeu (x) du hasard (abia). En réalité, le mariage implique l’appropriation d’une femme par l’homme qui en dispose comme d’un bien–meuble qu’il peut prêter, louer, céder, donner… Ainsi si un homme éprouvait une vive amitié envers un autre, il pouvait lui prêter sa femme, ou l’échanger contre la femme de ce dernier. Les enfants restaient néanmoins la propriété du père qui a versé la dot. La même attitude consistait à affecter une femme pour l’accueil et l’entretien d’un visiteur qui passait nuit chez soi. D’un autre côté, un polygame ou un vieillard pouvait donner sa femme à un jeune homme pauvre qui ne pouvait payer la dot d’une femme. Celui–ci devenait un ntobo (client) qui travaillait pour le maître. Les enfants qui pouvaient naître étaient pour le mari qui a versé la dot. Dans certains cas cependant, le maître donnait une de ses filles au ntobo qui avait rendu de grands services. En somme, le désordre sexuel qui peut apparaître de ces unions et relations était minimisé par le fait que le résultat qui était les enfants était bien sûr accueilli comme un profit. Car le garçon tout comme la fille sont des signes de richesse. L’un est chasseur et guerrier, l’autre cultivatrice et reproductrice. Ils assurent ainsi la puissance et la richesse de leur détenteur. Et un adage est fort significatif à propos : »si tu entends dire « richesse », sache qu’il ne s’agit de rien d’autre que d’êtres humains ». On pourrait néanmoins dire que par le fait même la femme revêt une importance notoire puisqu’elle constitue un bien, une source de grandeur, de richesse, de prospérité, de paix pour les siens. Et cette valeur de la fille apparait dans les procédures normales d’acquisition d’une épouse.
Il faut d’abord noter que dès le départ la fille dépend entièrement de son père, de ses frères ou de tout autre proche du lignage paternel. Car étant donné que ce sont les hommes qui distribuent les femmes, c’es à eux qu’il en faut également demander. La conséquence immédiate de cette dépendance est que l’accord des pères ou frères de la fille suffit pour qu’un mariage soit validé. Nous avons vu plus haut qu’un père pouvait décider sa fille à un tiers et cela était fait. C’est ainsi qu’un homme pouvait retenir par avance une fille à naître « évân ngon ». Cette pratique avait pour l’homme l’avantage d’éliminer la compétition commerciale pour l’acquisition de la femme, elle permettait également d’éviter ou de contourner les incertitudes de l’ébôngon, simplifiant par le fait les transactions du mariage. Et pour « l’évân ngon », un homme qui avait vu une femme enceinte venait donner un paquet de fard rouge « le ba’a », un sang de perles, une marmite d’huile de palme…. Tout cela pour embellir et entretenir le futur bébé. Si c’était un garçon, on attendait la prochaine grossesse. Sion on remboursait les cadeaux. Ces cadeaux étaient appelés « ébân alùg » ou fondement du mariage ». Le mari dès la naissance de la fille commençait la dot ; s’appropriant ainsi les éventuels enfants. La femme était remise à son mari à l’âge de 6–7 ans qui la remettait à sa mère, ou à l’une de ses épouses. Dans le cas d’une fille adulte, l’on passait par l’ébôngon qui nécessitait les intermédiaires (betebe zâñ), qui mènent les enquêtes pour informer la famille du garçon sur la famille de la fille : fécondité, bravoure, force, sorcellerie… dans le cas de proche voisinage, ces démarches sont brères. Après une délégation comprenant les membres du lignage du garçon se rend chez le père de la fille pour la demande en mariage « nsili alùg ». Cette délégation, très polie est respectueuse apporte des cadeaux et l’huile de palme pour l’ébân alug, qui seront présentés par le porte parole des visiteurs le lendemain de leur arrivée. Ces objets étaient présentés à la fille devant l’assemblée. Si elle les remettait à son père, c’est qu’elle acceptait le mariage sinon elle refusait. Si elle acceptait, sa famille se retirait pour un conciliabule (esog) au sortir duquel, la dot était présentée à la famille du garçon. Notons ici s’il n’était pas question d’imposer souvent un mari à une fille adulte, sans son consentement, il n’était guère question non plus pour une fille respectueuse de la tradition et bien élevée, craignant son père, d’oser refuser un mari que lui proposait celui–ci. Et souvent, dans le cas de pareilles filles, il était fréquent qu’une fille soit livrée à son mari mains et pieds liés, après avoir reçu une bonne fessée. En quoi consistait maintenant la dot ? Rappelons tout d’abord que la dot « meveg » scellait un vrai mariage. C’est elle qui transférait des droits au mari sur la fille et surtout sur les enfants qui naitront. De ce fait les deux clans en présence sont intéressés. C’est le patriarche du clan de la fille qui présente ce qu’il faudra donner : une ou deux chèvres ou moutons pour les belles–mères, deux ou trois pour les beaux–pères (pour l’aba’a), un mouton/chèvre pour la génitrice de la fille, un chien ou un chat pour les frères de la fille. Ses sœurs n’ont rien ; étant elles aussi de passage dans le clan. Cette partie de la dot constitue « le bitsii »/ »le bikù : Ntumu ; c’est la partie non remboursable de la dot. Puis on dit le nombre de « bike’e » (ekpwelé pour les Ntumu), morceaux de fer aplatis aux deux bouts, de douzaine de centimètres de long sur un ou deux de larges. Après ces moments, c’était la bénédiction de la salite (jets de salive), qui suit la remise d’une tête de mouton égorgé signe qu’elle pouvati désormais fonder une nouvelle lignée indépendante. Sa famille l’aide pour ses premiers jours au village de son mari où elle ne sera définitivement adoptée par la famille de son mari qu’en fonction de sa productivité en tant que cultivatrice et reproductrice. Si elle est effectivement productive sur les deux aspects, son mari continuera de combler sa famille de cadeaux qui lui aura permis de devenir un mfañ mod, un homme riche, un vrai homme.
Nous avons vu que pour qu’un ancien Beti fang soit considéré et respecté, il devait être propriétaire de plusieurs femmes puis d’enfants, enfin venaient les clients, les esclaves… Et tous ces
hommes, il fallait les disposer sur un espace propre qui devenait par la suite un grand village. Il apparaît ainsi clairement que le village n’était qu’un ensemble de cases d’un homme avec ses épouses et ses dépendants. Ce qui nécessitait une certaine configuration. C’est pourquoi un village avait une « tête » « nlô dzaa » ou « nlô dzâl » où l’on retrouvait la case des
hommes, ou abââ ou cosp, dont le poteau central avait à son pied tous les éléments protecteurs et fécondateurs du maître des
lieux. Devant cette case se trouvait le tam–tam d’appel et un peu à côté encore la resserre personnelle du mod dzâl
midzââ, lieu interdit aux femmes. Les autres maisons s’alignaient perpendiculairement à l’abââ, selon le nombre d’épouses du chef de
village/famille. Ainsi la case–cuisine–chambre à coucher de la favorite « mkpeg »
(celle que l’on étreint fortement) était proche de l’abâ^. C’est la femme de
confiance, avec laquelle il passe son temps de loisir, à qui il donne ses biens les plus précieux :
cheptel, jeunes épouses pubères, sa pipe et affaires personnelles. Cependant c’est «l’otongô » « ontongoan » (la
nourrisseuse) qui voyant sa case plus proche de l’abââ. C’est d’ailleurs à elle que revenait l’honneur de voyager avec
lui. C’est elle qui décortique les noix de cola, bourre la pipe, c’est elle qui assure la propreté de l’abââ et de la
cour. C’est elle que le mari met à la disposition des visiteurs de
marque. A l’autre extrémité du village appelée ebôn ou zud dzâl chez les Ewondo et
Bene, akug dzaa chez les Ntumu, se trouve la première femme, l’ékomba ou
ekoma, dont le travail a permis le développement du village. Son mari la consulte pour tout car c’est elle qui lui a apporté la chance et la prospérité. Elle jouit d’une autorité auprès des autres femmes. Entre les deux extrémités du village se trouvent donc les autres épouses, qui n’approchent généralement leur mari – à part les plus jeunes – que pour lui apporter à manger. Ce sont les « languissantes ». Les « minluii/minlua qui peuvent recevoir un client, un
ntobo, renforçant ainsi le potentiel humain du chef et faisant de lui–même un noble
(ntôma/ntômba). |