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Leur respect était sans condition et leur mépris était lourd de conséquences, et constituait un sujet à purification c’est–à–dire raison de la tenue du rite de bénédiction.
En effet, la fratrie regroupe tous les enfants ou toutes les personnes ayant un ou deux parents en commun. Il s’agit de personnes ayant des liens utérins, auxquelles on ajoute des personnes avec lesquelles on a un (e) même grand–père/mère. Cela voudrait signifier les frères et sœurs utérins de mon père et de ma mère ainsi que tous leurs enfants. C’est une relation inconditionnelle entre « frères » et « sœurs », et qui doit être préservée et respectée de tous. Ainsi les enfants issus d’un tel lien sont frères et sœurs, doivent se respecter mutuellement, et surtout ne doivent en aucun cas et sous aucun prétexte entretenir des rapports sexuels. Aucune raison ne peut justifier qu’un « frère » entretienne des rapports intimes avec sa sœur de troisième génération. Ce serait un nsem grave, qui fait appel à tout le clan, à toute la famille pour être expié. Le rite de bénédiction qui s’impose nécessite l’apport de tous les patriarches du groupe.
Cette réalité, cette sacralisation de ses frères ou sœurs doit être inculquée aux enfants dès le bas âge, et cela se manifeste ou se vérifie par l’interdiction de voir nu, son parent de sexe opposé. Car dans la tradition Beti–Bulu–Fang, il n’est pas permis à un frère de voir la nudité de sa sœur, et vice–versa. Ce serait comme voir la nudité de son père ou de sa mère. C’est cela qui explique aussi que le mariage dans cette situation soit impensable. La fratrie est en fait un lien respecté, sacré. Et cela engage les personnes dans la même situation dans la famille maternelle. D’ailleurs nous avons dit dans un article que le village d’origine de sa mère était le deuxième village de tout Beti. S’y marier ou entretenir les rapports sexuels avec des filles d’ici serait donc épouser ou avoir des relations sexuelles avec sa mère. Une vraie abomination dans la coutume Beti.
C’est l’élément de référence de l’individu dans le grand groupe social. La parenté renvoie au lien clanique, aussi bien côté paternel que côté maternel. Les us et coutumes Beti–Bulu–Fang ne transigent pas dessus, et demandent le respect pour le clan paternel et maternel que pour la fratrie. C’est une attitude qui permet à tout individu de se sentir chez soi dans un village lointain du sien, parfois dans un groupe social distinct du sien. Car les Beti entretiennent des relations très rapprochées avec tous les villages du clan maternel et du clan paternel. Il arrive d’ailleurs le plus souvent que cette considération s’étende aux différents clans d’origine de ses aïeux.
Ainsi, autant il n’est pas étranger dans le village d’origine de sa mère, autant il ne l’est pas dans tous les villages du clan de cette dernière. C’est dire à titre d’exemple qu’un Yeminsem de Sangmelima dont la mère était Yévôl de Mekalat à Ebolowa se retrouve chez ses oncles maternels chez les Esôm de Nkolbisson dans la banlieue de Yaoundé.
Il apparaît par exemple que le géniteur n’est pas le père, ou la mère seulement, mais tous leurs collatéraux claniques. C’est cela la parenté chez le peuple les Seigneurs de la forêt. D’aucuns pourraient se demander pourquoi étendre ainsi les liens de parenté ? Seulement, il faut toujours se rappeler que le Beti–Bulu–Fang vivait dans la guerre, de la guerre et pour la guerre contre les autres groupes. Seulement celle–ci ne se pratiquait jamais entre frères, mieux c’est toujours aux frères qu’on avait recours lorsqu’on partait en guerre. Il fallait donc garder le plus de relations possibles pour être en mesure de défendre le groupe en cas d’agression extérieure.
C’est cela qui explique que tous les Beti–Bulu–Fang recommandent à leur progéniture de ne jamais cacher leurs parentés c’est–à–dire le clan de la mère et celui du père. C’est pourquoi un Yeminsem de Bikpwae ou de Sangmelima ne doit sous aucun prétexte entretenir des rapports sexuels avec un Yeminsem de Kribi ou d’Ebolowa.
Ou encore un Ndoñ de Enyia Nko à Akom II ne peut prendre pour épouse une fille Ndoñ de Micomeseng en Guinée Equatoriale ou une fille Bekôe de Alen chez les Mvae dans l’Arrondissement de Ma’an, Vallée du Ntem.
Il est impensable qu’une fille Esamvini/Esamvin de Mekou’ou en Guinée Equatoriale se marie à un homme Nk’Ôjoé du Gabon, ou un Yébôl d’Ebolowa ou Esôm de Nkolbisson.
C’est dire par ces exemples que le vocabulaire Beti–Bulu–Fang ne connaît pas les réalités comme cousin, cousine, demi–frère, oncle, tante. Il connaît plutôt pepa/papa pour désigner mon père tel, ou mema/mama pour désigner ma mère telle, idem pour mon frère, ma sœur, mon grand–père… exit, des notions populaires aujourd’hui comme tonton, tantine.
Les appellations mema, pepa, ndôm… sont en effet plus rapprochantes des liens, au contraire des ces notions : tonton, cousin, tante, cousine… qui semblent instituer des limites ou barrières et par ce fait allègent du poids de la tradition qui impose sacralisation des liens de parenté, sacralisation qui s’étend d’ailleurs aux relations avec ses frères et sœurs du clan maternel.
En effet, tout enfant doit respecter ses oncles maternels quelque soit leur âge. C’est dire qu’un enfant garçon, même nouveau–né est l’oncle maternel de monengon ou mone ngoan, c’est–à–dire qu’il est son ndomenyañ/nyañdomo. C’est donc affirmer qu’un Beti n’a pas de « frères » chez ses oncles maternels, tous sont ses oncles.
Pour saisir encore mieux la signification de l’importance de la parenté chez les Beti, il faut examiner les liens avec les clans des grands–pères et mères de ses parents. En effet, un enfant Esambira ou Mbidambani, dont le père est « Monengon Yemboñ » c’est–à–dire la grand–mère est Yemboñ, et sa maman Yeminsem, cet enfant est parenté avec ces trois groupes claniques et toute relation intime avec une fille des trois groupes est incestueuse.
Et une faute d’inceste, pour être lavée nécessite un rituel particulier, différent du rite de bénédiction normal. Chez les Ntumu, on parle de « A bwiri nsem » ou « a sèlè nsem ». Le rituel a lieu en public, c’est–à–dire dans la cour, et en présence de tous, petits comme grands.
En effet, pour enlever la souillure reçue de suite d’un acte incestueux, les Ntumu anciens se réunissaient au jour indiqué, sous la conduite de tous les patriarches, et de toutes les vieilles femmes qui n’avaient plus leurs menstrues. Les deux fautifs étaient dépouillés de tous leurs habits. Ainsi à poils, ils étaient à tour de rôle arrosés d’une eau tirée d’un seau posé au milieu de l’assistance et contenant des herbes, des racines et des écorces purifiantes que les anciens maîtrisaient bien.
L’arrosage était fait au moyen d’une goupille de feuilles purifiantes également. Les célébrants sont tous les hommes âgés du groupe social, toutes les femmes de bonne moralité, et toutes les femmes âgées. En fait ce sont ces personnes qui sont censées garder la tradition et les bonnes mœurs au sein du groupe social.
Par ce rituel, les fautifs sont ramenés sur le droit chemin et sommés de ne jamais s’y essayer à nouveau. Rappelons que le plus souvent, avant de procéder au rituel de bénédiction, il arrivait souvent que les patriarches fassent d’abord donner une fessée publique aux fautifs. Au regard de ces analyses, et vus les dérapages observés aujourd’hui dans la société Beti–Bulu–Fang, l’on ne peut que regretter le temps des anciens.
En effet, de nos jours, filles et garçons vont ensemble sans au préalable se poser des questions sur les origines ou les liens de parenté de l’un ou l’autre. Et le plus souvent, de telles relations aboutissent au mariage et c’est une fois le mal consommé que les deux apprennent souvent qu’ils ont des liens de parenté clanique.
C’est pour éviter de tels désagréments que la société Beti–Bulu–Fang tolérait difficilement sinon presque jamais les mariages avec des filles et fils d’autres tribus, car le plus souvent, les coutumes n’étaient pas les mêmes.
Certes, il serait faire vieux jeu que de dire à l’heure de la mondialisation à un groupe ethnique ou tribal de ne circonscrire les mariages qu’en son sein, on réaffirme néanmoins la nécessité pour les jeunes Beti de connaître les liens de parenté de leurs partenaires avant toute aventure, mais surtout de les respecter et les interdits y afférents.
La méthode consisterait donc pour les jeunes garçons à demander dès le premier contact à la fille de décliner son identité et vice–versa au cas où le garçon n’y pense pas. Cela éviterait à coup sûr à un Mbidambani du Nyong et Mfoumou d’entretenir des rapports intimes avec une fille Esambira de Mebara dans la Vallée du Ntem, ou à un Yévôl de Mekalat à Ebolowa d’épouser une Esôm de Nkolbisson à Yaoundé. Cela est valable pour tous.
Nous reconnaissons cependant que pour que cette suggestion, cet appel fasse écho, il faut au préalable que les jeunes Beti s’imprègnent de ces choses. En effet, il faut d’abord que chaque Beti aujourd’hui connaisse d’abord son clan, puis les différentes appellations de celui–ci dans les autres ethnies Beti. C’est une fois ces connaissances acquises que les jeunes sauront quand est–ce que le mal les guette et ainsi la parenté et la fratrie, socle de la vie sociale du Beti et ordonnance de Dieu seront sauvés de l’abime du vice où elles sont désormais reléguées.
Pour ce faire, reconnaissant l’ignorance de certains parents Beti–Bulu–Fang aujourd’hui à propos des us et coutumes de notre groupe, nous essayerons très prochainement de faire un bref inventaire des différentes ethnies avec leurs multiples appellations en fonction des multiples groupes Beti. Nous réitérons cependant la nécessité pour les jeunes générations de respecter nos valeurs, plus particulièrement la parenté et la fratrie, socle, piédestal de notre société, valeurs qui ont permis aux Beti–Bulu–Fang de retrouver une famille, même en dehors de son milieu natal. |