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Quelques Rites Beti

Nous avons dit que l’homme beti vit avec ses ancêtres, en même temps qu’avec son entourage, les vivants. C’est pourquoi le visible et l’invisible se côtoient et la limite entre les deux est trop mince. Pour son épanouissement donc, le Beti va pratiquer certains rituels qui visent à le protéger de l’agressivité des autres, de la sorcellerie, mais aussi de cendre riche et puissant : c’est le cas des rituels Melân et Ngi.
  1. Le Melân :

C’est un rite d’origine Mekuk, peuple vivant dans les environs de Lolodorf. C’est le culte aux ancêtres par excellence. L’initiation, facultative, devait conférer au bénéficiaire un talisman : « abûb melân » qui était supposé assurer la sauvegarde et la bénédiction des proches défunts ; faits qui se traduisaient par l’enrichissement de l’initié. L’initiation au melân présentait trois articulations : la manipulation des restes des défunts, la drogue et la figuration sur le bois des défunts en question. Et au contraire des rites comme le tso/so, le melân n’excluait personne ; femmes et enfants pouvaient suivre l’initiation cependant que celle des hommes « murs » était plus complexe et renforcée.

Pour les femmes et les enfants, l’initiation se bornait à la présentation des mannequins des ancêtres peints en rouge et/ou en blanc. Notons ici que le rouge est la couleur qui symbolise la vie tandis que le blanc représente la mort. Ainsi donc, pour les femmes et les enfants, l’initiateur et ses prêtres les laissaient dans la case du melân (esam melân) ; ou atelier, sanctuaire d’initiation, situé dans la brousse derrière le village. Ils leur faisaient entrevoir ces marionnettes à travers la fenêtre ou sur le toit du sanctuaire. C’était la représentation d’un inceste (nous le verrons plus amplement avec les hommes) que symbolisait le caractère sacré de l’adultère.

Il faut dire qu’en fait l’initiation des femmes et des enfants à ce rite n’était que l’iceberg de ce que connaissaient les hommes et les adolescents, c’était une sorte de préliminaires au vrai rite. N’oublions jamais que les femmes et les enfants étaient des êtres inférieurs dans la société. En outre, tout comme le rite tso/so, le melân nécessitait pour un profane beaucoup de biens à donner au grand initiateur qui avait construit son esam melân (sanctuaire d’initiation).

Pour être grand initiateur, il ne suffisait pour autant pas de construire un esam melân. Le grand initiateur devait avec l’aide des autres initiés, se procurer au moins trois crânes de ses proches parents, dont celui de son père. Puis il devait toujours avec l’aide des autres initiés pouvoir déterrer les crânes des étrangers dans la mesure de  ses possibilités. Déterrés, ces crânes étaient d’abord placés dans une marmite médicinale appelée « etog », afin de se débarrasser des matières organiques résiduelles encore présentes.

La réussite de cette entreprise était célébrée, à sa juste valeur comme un triomphe, une victoire de guerre. Des cornes, plongées dans cette marmite qui était supposée détenir des pouvoirs magiques exceptionnels, servaient d’amulettes aux initiés. Puis l’initiateur faisait sculpter dans un bois (ekud, d’où dériverait l’appellation « Nkug » ou esprit, génie). Les statues des ancêtres dont les crânes venaient d’être déterrés. Il y avait donc sculpté, la statue du père habituellement le fondateur du lignage, de la mère, et d’un fils qui était supposé commettre l’inceste avec sa mère, scène représentée aux femmes et aux enfants lors de leur initiation. Ces statues laissaient d’ailleurs entrevoir toutes les parties génitales des personnes. Pour accomplir l’initiation, le grand initiateur se faisait aider par les autres initiés (minkug).

L’initiation commençait par le passage d’un trajet en brousse, jonché de fosses et autres obstacles, et se terminant par des souterrains. Elle se déroulait (l’étape) dans l’obscurité, en pleine nuit. Si un mvôn melân (aspirant) tombait dans une fosse ou échouait face à un obstacle, il devait payer pour s’en sortir.

De ce point de vue, le melân assurait de nombreuses richesses au grand initiateur. Car pour ne pas être emporté par les fantômes (telle était la croyance) et pour bénéficier de la protection et de l’attention des ancêtres fantômes, le mvôn ne pouvait compter que sur son maître. C’est pourquoi il devait payer cher. Précisions ici que d’autres obstacles présentés par les mikug le long du parcours parsemaient le trajet.

Sorti des souterrains, –la traversée est appelée « Medan éndam » ou la « traversée de l’Endam » ; fleuve des morts– le Mvôn est conduit à l’esam melân par un souterrain, accompagné par les vis et gémissements des minkug, destinés à lui faire peur et donner l’impression d’être entouré de fantômes. Bousculé, empoigné, molesté, il parvient enfin (après avoir payé en bikié) à la case–atelier, où, dans un trou appelé nda minkug : « case des génies », lui apparaissent les statues cette fois en argile représentant ses ancêtres, avec à leurs pieds le sac contenant les crânes déterrés, appelé « ngun melân ». Cette partie était considérée comme la rencontre avec les grands–parents ou ancêtres morts. Ainsi outre les statuettes d’argile, on faisait parvenir, à la lueur du feu et à travers les fenêtres, le passage des génies, accompagné d’une musique de balafon nommé « melân » ; du nom du rituel. La première était terminée.

La deuxième phase démarrait par la confession de chaque aspirant qui devait en outre donner des présents aux officiants, durant cette partie, les candidats dansaient avec les minkug qui représentaient un couple nu s’accouplant. Puis on explique aux candidats, la signification de la traversée de l’Endam. C’est ici également qu’un enseignement ésotérique leur est donné avec les secrets du rituel.

Ceci terminé, les « génies » leur faisaient visiter les statuettes, les yeux clos, ainsi que des formes animales et humaines, expression peinturées des fantômes. Des interdits leur étaient donnés dont celui de faire l’acte sexuel de jour ; car le rituel se déroule de nuit tout comme les fantômes n’agissent que de nuit.

Cette deuxième phase se déroule en plein jour, c’est la phase de prise de la drogue : il s’agit d’un mélange d’écorces qu’on donne aux candidats assis à même le sol, à mâcher, au son du tam–tam et des balafons. Ils vont l’un après l’autre entrer en transe puis s’écrouler. Ils sont alors transportés derrière l’esam pour un voyage dans l’au–delà. Après un certain temps, ils sont ranimés à l’aide du jus de citron et de l’eau pimentée. Ils se rendent au ruisseau se baigner, se badigeonnent de fard de padouk, revêtent des feuillages et en font autant des crânes. Après avoir offert des offrandes au « ngun melân », ils reviennent au village courbés sur un bâton, mimant les vieillards et les ancêtres qu’ils sont devenus, prêts à recevoir la bénédiction des crânes. On appelle cette marche la « procession des infirmes ». Les candidats sont désormais prêts à recevoir leurs talismans.

C’est la phase finale de l’initiation. Elle a lieu sur la place du village. Tous les crânes sont disposés en demi–cercle et dessous on fait brûler la résine : « otù ». Sur un autre bûcher allumé, d’autres crânes sont déposés et les acteurs dansent tout autour. Dans un sac en peau de civette ou de chat sauvage, le candidat place la cendre recueillie du bûcher, des piquants de porc–épic, des épines, du bâ (poudre de padouk) parfois de la poudre à fusil, des dents de cadavre, des petits morceaux de cervelle. Ces éléments vont assurer la protection du propriétaire.

Après la danse, chaque nouvel initié porte son abùb melân au coup, et reçoit sa corne tirée de la marmite médicinale. Les initiés ayant reçu leurs attributs pouvaient maintenant les faire voir tel un trophée gagné. Et un festin clôturait l’événement, festin au cours duquel les ancêtres étaient loués : on leur gardait leur part de repas et de boisson, on leur chantait des louanges.

Ces éléments dont disposaient maintenant les initiés, comment s’en servaient–ils ? Plusieurs observateurs et chercheurs ont recueilli des témoignages à propos de l’usage de ces attributs. En effet nous avons dit que le rituel visait à conférer à l’initié protection et richesse : Protection contre tout ce qui lui voudrait du mal et surtout la sorcellerie. Il suffisait pour cela de brûler la résine–encens reçue lors de l’initiation d’un bout à l’autre du village pour écarter toute menace sorcière. De même un initié malade était soigné pour le melân.

On entourait le malade des crânes sur lesquels on brûlait la résine (otù) avec des invocations aux ancêtres dont les crânes sont ici. Ensuite on sacrifiait un coq qui devait mourir à la place du malade. Si le sacrifice était accepté des ancêtres, on leur offrait le sang du coq, la viande était préparée et servie aux ancêtres pendant un certain, puis les vivants se la partageaient y compris le malade. On était dès lors sûr de son rétablissement. Cet aspect du melân a beaucoup participé à sa condamnation par l’église catholique lorsque les missionnaires européens arrivent au Cameroun.

Pour ce  qui de la prospérité apportée par le rituel, le possesseur du gnun melân pouvait invoquer les ancêtres lorsque sa famille était menacée de disette. Pour cela, l’homme prenait le crâne enduit du bâ de l’ancêtre fondateur, le posait sur un lit propre et lui parlait comme à une personne vivante, demandant du gibier à profession, ou des récoltes abondantes, il prenait un coq qu’il arrachait la tête avec les mains, aspergeait le crâne du sang.

Après, le coq était préparé et enfermé dans la chambre avec le crâne et les statues pendant un certain moment. Puis le plat était retiré et partagé entre tous. Si la chasse avait lieu le lendemain, la prise devait être importante ; dans le cas des récoltes, c’était l’abondance. Nous ne saurons clore cette partie sans soulever que le ngun melân, considéré comme une personne vivante qui devait être nourrie et entretenu par son propriétaire. Son régime consistait au coq et son entretien, d’être toujours propres, nettoyé et oint de padouk.

  1. Le Ngi ou l’Inquisition

Dans leur souci de contrôler les événements qui survenaient dans la société, les Beti ont adopté un autre rituel : le Ngi. Il est d’origine Mekuk comme le Melân, ressemble à ce dernier sur plusieurs points cependant qu’il présente également beaucoup de spécificités. Le mot Ngi signifie dans plusieurs langues beti : « gorille » ; il renvoie à une association qui confère à ses adeptes une efficacité censée absolue face aux attaques sorcières, avec le pouvoir de neutraliser l’évù (sorcellerie), de démasquer et de châtier les sorciers. Le châtiment étant la mort. L’initiation au Ngi fait de l’initié un être inexorable, inaccessible à tout sentiment de pitié sinon redoutable comme le « gorille », terreur des forêts.

Au stade primaire de l’association, on retrouve le « Mvôn gni » ; toute personne (homme, femme, enfant) soupçonnée d’avoir pratiqué la sorcellerie ou tué. Le deuxième grade est celui des hommes de mains du grand initiateur : les Omoa. Ils obéissent aveuglément aux ordres du grand maître.

Enfin il y avait le cercle des grands initiés où l’on retrouve le mod esam : c’est le chef de famille chez qui l’esam Ngi (le sanctuaire du Ngi est installé), les prêtres du ngi (porteurs de sac) et un nnôm ngi ou dzi ngi ; le grand prêtre : c’est le plus grand sorcier de tous, le plus puissant, celui qui connaît mieux que tous. Lors des cérémonies, le grand officiant porte un masque de bois, de l’arbre ekug, le même qui sert à faire les minkug (génies) du melân.

Durant ces cérémonies, il est appelé pour ce par « asu ngi » : visage du ngi, personne ne le voit, seuls les initiés. Il est strié de noir de fumée et de « fem » (argile blanche) qui forment d’un côté du corps des raies blanches sur fond noir, et de l’autre des raies noires sur fond blanc, des cornes sur la tête, le torse su et cache–sexe sur la taille, le reste du corps en kaolin blanc. Les autres officiants n’étaient pas aussi cyniquement fardés. Bien que masqué, également torse nu, ils portaient un cache–sexe, une queue de singe et étaient peinturlées de noir, blanc et rouge.

Manifestation la plus cruelle et la plus terrifiante de la « police judiciaire » beti, l’installation d’un esam ngi est l’expression de la gravité du sujet. En effet pour maintenir ses femmes ainsi que ses dépendants dans le droit chemin, un chef aura besoin d’un sanctuaire dans son village. Pour ce faire après l’approbation d’un dzi ngi d’un village voisin, il s’agira de construire la cabane, en boursse à une certaine distance du village.

Ce travail revient aux hommes de mains du grand maître, ses soldats. La cas est hermétiquement fermée côté village, un souterrain est creusé allant du sanctuaire au village, ce qui à chaque fois que l’officiant apparaît et rugit dans ce conduit donne l’impression aux villageois de suivre une voix d’outre tombe. Reste à équiper la cabane et le souterrain pour les cérémonies.

On  y doit pour cela exhumer des cadavres récents car outre les os, l’on utilise également la sanie issue des chairs en décomposition. Pour cette raison d’ailleurs, l’utilisation des restes d’un initié était prévue. La sanie, mélangée aux herbes et autres produits tel les lambeaux de peau de la grenouille venimeuse appelée « mvon », était utilisée pour faire un poison qu’on faisait boire au  mvôn lors de la confession–initiation. Les os des phalanges sont cuits, séchés et mêlés à d’autres éléments pour en faire une prise.

Les os des tibias, fémur et clavicule étaient utilisés pour faire une herse dans le souterrain, le crâne ser de calebasse–gobelet. D’autres os sont insérés dans une figure d’argile couchée dans l’esam. A côté de cette statue partait le souterrain qui aboutissait en dessous du village pour faire entre le cri du nnom ngi. Dans ce souterrain, il y a également des os humains disposés en tas. Les os hérissés à côté de la statue sont appelés Mimban mi Ngi c’est–à–dire « défenses du ngi », par analogie aux défenses de l’éléphant. Le décor ainsi planté n’attend plus que les rites d’ordalie et d’initiation.

Le début des cérémonies est donné par le rugissement souterrain du dzi ngi. Les mvôn, suspects ou du moins présumés coupables de méfaits quelconques sont triés par les initiés devant le tribunal du nnom ngi. C’est le début d’épreuves et d’ordalies destinées à arracher des aveux aux coupables. L’occasion était bonne pour un chef d’être édifié sur tous les méfaits des siens. La première épreuve consiste à sauter au dessus d’un feu allumé devant l’esam ngi, au son des tam–tam et des chants.

Ceux qui ne sont pas sorciers ou coupables tombent dans le feu, sans se brûler cependant car le ngi le guérit aussitôt. Les sorciers et coupables sont ceux qui passent sans problèmes. Parfois, la simple fermeté de prendre l’élan pour sauter suffisait à disculper certains tandis que le refus obligeait son auteur à confesser ses forfaits. Cette épreuve terminée, les mvon devaient poursuivre le nnom ngi à travers la brousse où les initiés leur tendaient des obstacles.

De retour à l’atelier, les suspects devaient à travers les os hérissés devant la statue d’argile couchée dans l’esam. Ces os étant bien effilés tels des lances. Avant de sauter, le maître–officiant parle aux lances, leur ordonnant d’embrocher les coupables. Après cette épreuve, les mvôn sont battus à l’aide des tibia  et autre fémur ainsi que de baguettes chargées de puissances. Après quoi ils sont appelés à descendre individuellement dans la fosse creusée à côté du souterrain et abritant des restes d’ossement, ici les initiés qui étaient cachés dans le souterrain malmenant autant que possible l’arrivant.

Au sortir, le nnom ngi lance ou dépose un os long (tibia ou fémur) sur les épaules ou le dos de chacun. Le coupable voit l’os suspendu sur son épaule sans pouvoir tombé ; tandis qu’il tombe sur le dos d’un innocent. Au cas où les accusés persistaient dans la dénégation, ils étaient battus, forcés de prendre les braises dans leurs mains. Certains en venaient à succomber. Les femmes convaincues de culpabilité étaient sévèrement punies et les hommes devaient payer de lourdes amendes. Parfois le coupable d’un crime était tué. Les aveux obtenus, les mvon et les initiés devaient danser pensant que les blessés étaient soignés par le grand–maître. Cette phase terminée, il restait la phase de blindage et d’interdits.

Le nnôm ngi fait  boire des breuvages aux mvôn à l’aide du crâne–calebasse–gobelet, il lui fait consommer un aliment fait de sanie d’un récent cadavre mélangée à une poudre de vertébrés broyées avec du maïs, dans une sauce d’arachides, mélangée à des poissons frais non vidés, et au crapaud venimeux (mvon) avec de l’huile de palme. On y adjoint un lézard, un mille–pattes et un évù. Le tout est appelé « ebol mbim » : « pourriture de cadavre ».

Ce poison absorbé, le désormais initié ne peut plus mourir d’empoisonnement, il est hors danger de sorcellerie, il peut se déplacer d’un lieu à un autre à la vitesse de l’oiseau et aussi il est difficile à tuer d’un fusil, d’une lance… c’est selon un observateur ce qui aurait été le cas de Martin Paul Samba, car il avait été initié au ngi. Une autre partie de la protection était la vaccination. On rappelle d’abord au mvôn les interdits du rituel dont les pires se résumaient ainsi :

– ne plus faire de sorcellerie ni voler, sinon on mourrait ;

– ne plus commettre l’acte sexuel de jour sinon l’initié restait paralysé sur place.

Ainsi purifiés et engagée à une vie saine, les initiés étaient des hommes nouveaux qui scellaient leur engagement par des incisions faites aux articulations enduites des éléments qui ont constitués le repas du blindage. Les mvôn vont ensuite séjourner en brousse dans l’esam ngi, probablement pour découvrir les autres secrets de l’association mais aussi pour danser et ainsi attirer les bénédictions sur le pays.

De retour, ils sont fêtés dans leur famille respective. Le Ngi apparaît bien sous cet angle comme un moyen efficace de limiter la sorcellerie dans le village, de réglementer les actes posés, de punir (de mort) ceux des initiés qui violent le serment. Seulement son côté manipulateur des restes humains en fait une horreur notable.

 


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