L’on peut dire qu’il constituait une réplique féminine du So pratiqué par les hommes, à la seule différence que c’est la femme qui doit avoir commis la faute, pas un membre de sa famille. Comment le Ngas se célébrait–il ?
Lorsqu’une femme était déclarée coupable d’une faute, la « mère » du Ngas organise le rituel puis toutes les femmes organisent une expédition vers le cours d’eau choisie. Arrivés en forêt, toutes les femmes se dénudaient et l’on faisait se coucher la fautive qui confesse tout le mal qu’elle a fait ; après quoi la célébrante lui mettait une fourmi aux pinces bien acérées dans le vagin pour pincer et piquer le clitoris.
Pendant ce temps, les autres femmes et les jeunes filles candidates à l’initiation dansaient autour de la femme couchée. Puis la célébrante (nyia ngas) prépare une mare artificielle dans laquelle elle met du piment, des écorces et des herbes urticantes. Puis on y faisait s’asseoir les jeunes mvôn ngas (candidates à l’initiation), les yeux bandés. Cette partie consiste à faire partager la souffrance de la fautive mais également l’expiation du nsem.
Car tout acte mauvais posé par une personne seule brise l’harmonie sociale et affecte tout le groupe social. Les hommes dans le rituel « So » en font autant. Un acte est posé par l’un, la sanction et l’expiation sont partagées par tous les candidats. Une fois la douche « expiatoire » terminée, la mère du ngas peint le visage des candidates de baa (poudre de padouk) de moitié et l’autre moitié d’argile blanche.
Puis on fait des couronnes de plantes que l’on plonge après dans la mare d’expiation, la célébrante proférant des incantations pour conjurer la malédiction. Les couronnes ainsi faites étaient utilisées dans les champs pour les protéger contre les animaux qui viennent saccager les cultures. Car ce sont des animaux « envoyés » « selon la conception beti) pour détruire les plantes dans les champs.
Le reste d’herbes et d’écorces de la mare est attaché en un paquet enterré dans la rivière ; la célébrante pêche un poisson de ce cours d’eau, lui coupe la queue et le relâche dans l’eau. La pêche sera interdite dans ce cours d’eau jusqu’à un délai fixé par la « nyia ngas ». Dans deux pinces de crabe, la célébrante met l’eau tirée de la mare médicinale et les place dans un petit panier utilisé par les femmes pour recueillir la prise lors d’une partie de pêche (nkun).
Ce panier « nfeg ngas, joue le même rôle que le « nfeg so » ou encore le « ngun melan ». Seules les initiées au ngas peuvent y mettre la main ; toute autre personne attrape des brulures du ventre et son salut sera conditionné par la confession, auprès des initiées au rituel.
Les interdits du rite sont rappelés aux femmes ainsi que les malédictions qu’entraîne le bris de ces interdits, puis, affublées d’armes et de peintures de guerre, chantant, les femmes retournent au village en poussant le cri du hibou, et en chantant des chansons dont les paroles sont des obscénités. La fautive en tête, la file arrive au village où armée de son coupe–coupe, la tête de file (fautive) abat d’un seul coup le premier bananier qu’elle rencontre.
Alors les femmes poussent des cris de joie (ayang, ayenga) ; car c’est la preuve que le rituel a réussi, donc preuve que la fautive a tout avoué. Sinon, le rituel est à nouveau organisé. Lorsque la réussite est prouvée, tout se termine par une fête. En bref, tout comme le So, le Ngas était jalousement gardé secret, tout homme qui s’aventurait à épier les femmes lors de sa célébration trouverait la mort.
Un autre rituel pratiqué par les femmes beti était le Mevungu ; rite strictement féminin, exercé par les femmes adultes aux jeunes filles. C’était une sorte d’enseignement éducationnel sacré, axé sur la vie au foyer en tant que mère, épouse et gardienne des traditions. Comment se célébrait–il ? Et à quelle occasion ?
Tous les Beti s’accordent à dire que le rituel Mevungu était organisé lorsque les habitants du village trouvaient qu’il était « devenu dur » (expression employée par Laburthe–Tolra) en langues beti on dira « aled » « ayet » « alet ». Cela signifie que les prises à la chasse étaient faibles, voire nulles, ainsi qu’à la pêche, que la récolte était mauvaise, bref que le village était menacé de disette.
Le rituel pratiqué par les femmes permettait donc de retrouver l’abondance, l’opulence. Tolra fait d’ailleurs à propos un rapprochement entre la fécondité des femmes et celle de la brousse. Le Camerounais Joseph Mvogo Nganoma écrit à propos des femmes officiantes : « Les femmes chargées de cette initiation doivent être des modèles et leaders parmi les femmes de la famille, maîtriser le rituel correspondant ainsi que les enseignements à dispenser ».
Ainsi donc ce sont les femmes qui ont fait preuve de qualités morales incontestées mais surtout des femmes qui ont été des plus fécondes, qui étaient chargées de repeupler la « brousse de viande », pour la société. Et d’ailleurs l’autre raison pour organiser le Mevungu était la stérilité ; lorsqu’une femme était stérile, les autres femmes, fécondes, tentaient d’apporter la solution en organisant le Mevungu.
Cependant le rituel avait une portée au–delà de l’abondance du gibier, ou de la fécondité d’une femme. En effet, le Mevungu était également un bouclier, une protection contre les malédictions mais aussi leur élimination, la protection contre les attaques de l’évu, force et pouvoir de sorcellerie.
Ainsi, lorsque la décision était prise d’organiser le rituel, toutes les femmes appelées à participer ainsi que les candidates observaient un temps de réclusion de neuf jours. (Il faut comprendre qu’une femme pouvait demander l’organisation du Mevungu même lorsqu’il y avait de l’abondance de viande ; et chacune ne pouvait le faire qu’une fois dans la vie).
Pour le cas du rituel commandé par une femme, après le temps de réclusion, fardées d’argile et de padouk, les candidates recevaient les interdits du rite de la principale officiante, femme qui devait posséder un évu très puissant, au dessus des autres femmes.
Les principaux interdits consistaient à ne jamais trahir le secret du rite, mais aussi à ne jamais commettre l’acte sexuel de jour. Puis les femmes entraient dans la case de la femme qui a demandé le rituel. Là, les cérémonies se faisaient dans un secret absolu, les femmes prenant soin de boucher le plus possible les fentes des murs.
Il s’agit de confectionner un paquet (mfeg mevungu) dont les éléments constituants montrent bien le rôle mystique du rituel ; les éléments principaux ou de base sont : l’écorce de l’arbre mfenen/angeg, qui a pour effet de bloquer les attaques sorcières et de les renvoyer à l’expéditeur ; ses fruits ngeg étaient utilisés dans le jeu du jet, où les candidats rivalisaient d’adresse.
Il consistait pour les candidats à transpercer le fruit (ngeg) lancé au sol par un autre jour, de sa sagaie. A cette écorce, on associait le iule ; « mille–pattes) antidote de l’évu. A ces deux éléments clés, d’autres s’ajoutaient : le ver de palmier (fos/foas), le saucissonnier (kigelia fricana), des plantes médicinales qui combattaient l’évu, des plantes rampantes, un crabe… etc.
Tous ces éléments, sauf le mille–pattes, emballés sont placés à côté d’un feu de résine (otu) allumé à l’intérieur de la case. Puis toutes les femmes se mettaient nues, et après avoir mangé ce qu’elles ont préparé, elles dansaient autour du feu toute la nuit, en faisant des invocations pour que le paquet se venge des malfaiteurs, mais surtout en appelant la punition du mevungu sur celui qui était « malfaitrice » ou malfaiteur.
Quant à la danse nocturne, c’est une exaltation et une célébration de l’évu–clitoris auquel on attribue la fécondité de la célébrante. Donc en fait, le plus grand évu dont on faisait allusion dans le rituel était le vagin et le clitoris de la célébrante. Ainsi n’était mère du mevungu qu’une femme dont l’ampleur des organes sexuels faisait l’unanimité parmi les autres femmes. Et d’ailleurs le mevungu catégorisait les femmes dans la société ; d’un côté et de loin le groupe le plus large, l’on retrouvait des femmes mariées, initiées, invitées lors des cérémonies mais pas au rituel secret, et de l’autre les femmes réputées fécondes par excellence aux organes sexuels grandioses.
Les chants entonnés lors du rituel secret dans la case ainsi que les paroles dites sont d’une obscénité sans pareil, et difficilement soupçonnables pour ces femmes qui pourtant faisaient toujours preuve de respectabilité et de pudeur dans la vie ordinaire.
Une autre séquence des célébrations rituelles consiste à attacher une ficelle au clitoris de la célébrante au bout duquel était attaché le fruit sauvage étub. Ainsi paré, les autres femmes viennent se frotte contre, pour qu’il leur communique le pouvoir et la force de sa détentrice. Parfois, la cendre du paquet posé au feu est frotté sur les organes intimes de la célébrante. On parle au clitoris, lui demandant de punir tel, de venger tel, ainsi vu, le Mevungu apparaît bien comme un culte au clitoris
Au milieu de la nuit, la célébrante enterre le mille–pattes sur le pas de la porte avec la cendre du paquet posé contre le feu et qui a brulé. Elle invoque la force ainsi enterrée de s’attaquer à quiconque voudrait du mal à la propriétaire de cette case. A l’aube, les femmes se partagent les pinces du crabe placé dans le paquet et ces pinces seront des sifflets capables de repousser des attaques de sorciers, d’éloigner les mauvais esprits.
Quant au reste de cendre, il est jeté sur les toits des maisons du village, et tout autour du village. Le paquet transpercé de petits trous et la cendre dispersée, la prise était sûre d’être abondante les jours suivants. Quant au paquet, propriété de la mère de Mevungu, elle était placée au–dessus de la porte de la case.
Cependant, cette phase terminée, les femmes attendaient pendant un certain nombre de jours, la réaction du Mevungu qui doit dénoncer la/les coupables. La dénonciation quant à elle consiste à des boursouflures corporelles, la prise de l’antilope so au piège, d’une vipère… Alors la coupable était trouvée.
Tous ceux qui ont été dénoncés, responsables (femmes et hommes) de la disette qui a frappé le village doivent confesser leurs forfaits au risque de mourir. Puis, après confession, la mère du Mevungu doit les purifier et leur faire manger le mets préparé à propos : nnam sesala (herbes médicinales, viande ou poisson fumé…) et la prospérité était retrouvée.
L’anthropologue P. Laburthe Tolra conclut sur le mevungu en le présentant comme un appel net à la puissance de l’évu, ce qui cadre avec la conception beti selon laquelle les femmes sont de très grandes sorcières au contraire des hommes. Il affirme également que le rituel du Mevungu est centré sur la fécondité de la femme.
Les rituels célébrés par les femmes beti étaient sans nul doute très nombreux, mais à ces deux principaux, nous pouvons ajouter l’Ongoda, beaucoup pratiqué chez les Eton ; c’est un rite initiation sexuelle des jeunes filles en vue de leur prochaine vie d’épouse. La jeune fille était ainsi parée pour le mariage ; le rituel Evodo présent chez les Mvele et les Eton, était une école de maintien et de discipline semblable au Ngas selon Tolra.
En clair, il ressort que tout comme les hommes, les femmes beti avaient un grand besoin d’éléments de contrôle de la société, éléments qui permettaient d’éviter ou de réduire les dérapages tels l’adultère, le vol, les mauvais actes ; éléments qui permettaient de punir celles qui s’écartaient du circuit tracé par l’éthique sociale ; éléments qui permettaient également de lutter, de se protéger et de se venger contre les attaques de l’évu. Mais au–delà de tout, les femmes beti avaient des pratiques qui leur permettaient d’exprimer et de remplir leur devoir de fécondité ; de personnes et bien sûr de biens, remplissant de fait leur devoir de procréation, de multiplication. N’étaient–elles pas aux mains des anciens Beti, des éléments de fructification. |