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Le Veuvage (Akus) dans la tradition Beti

S’il est des pratiques de plus en plus contestées dans la société moderne, le Veuvage en est bien une sinon la première. Cette mauvaise impression est due en partie aux exactions de toutes sortes commises par les officiantes et d’autre part aux sévices dont étaient victimes les veuves (car le veuvage pour les hommes était bien plus souple) de la part des belles–sœurs–officiantes.

Bien que l’impression générale et habituelle présente la femme chez les Beti comme un être de moindre valeur, quel élément positif peut–on tirer de l’Akus ? Mieux quelle est sa signification pour les Beti ?

I – Préliminaires

Partie intégrante des mœurs et coutumes beti, l’Akus/Veuvage renvoie à la situation d’une personne qui a perdu son ou ses conjoint (s) d’une part, mais également et surtout l’ensemble des rites, croyances et pratiques qui entourent l’événement, de la mort du conjoint à la levée complète du deuil, d’autre part.

De manière générale, les acteurs/officiants étaient les sœurs du défunt ; jamais un homme. L’officiante principale doit présenter des qualités morales acceptées et approuvées de tous : elle doit être bien intentionnée, elle–même veuve, efficace. Elle peut venir d’un autre lignage à condition de remplir ces qualités. Les officiantes en principe ne réclamaient rien ou presque ; la plupart des cadeaux étant consommés en communauté après les cérémonies. Dans le cas où c’est l’homme qui est veuf, ce sont les sœurs de sa défunte femme qui officient. C’est tout le contraire de ce que l’on peut remarquer aujourd’hui où le concept de « veuve joyeuse » a introduit un véritable marchandage dans les rituels de veuvage.

Sont soumis au veuvage, tout homme sans discrimination aucune qui a perdu sa femme et toute femme qui a perdu son mari. Même une femme séparée de son mari, si elle en fait une demande et que celle–ci est acceptée par la famille du défunt peut subir le rituel du veuvage. La croyance générale est que toute personne qui n‘a pas subi les rites de l’Akus s’attende à voir sa famille s’étioler et dépérir par des maladies, chaque membre faisant l’objet de malchance, d’insuccès. Au pire des cas la personne peut sombrer dans la folie voire décéder.

Le rituel du veuvage se déroule sur trois scènes :

– sur la cour du village,

– en brousse et

– à la rivière.

Le matériel requis se compose

– d’un tronc de bananier,

– de feuilles sèches de bananier,

– des cendres,

– glaise, kaolin,

– huile de palmiste,

– des ustensiles de cuisine,

– des poulets,

– viande et poissons boucanés,

– des vivres de toutes sortes ainsi que

– des herbes de purification et d’apaisement.

Les brimades commencent dès l’annonce de la mort cependant que les rites surviennent le lendemain de l’inhumation très tôt le matin. Le veuvage dure plusieurs mois, parfois un an et est levé par des cérémonies appropriées appelées « évaa meyeb » ou « ésue akus ». En quoi consiste donc ce rituel ?

II – Le rituel

Pour cerner toute la rigueur des sévices du veuvage, nous devons nous intéressés au veuvage de la femme qui est de loin le plus contraignant.

En effet, dès l’annonce du décès du conjoint, la veuve entre immédiatement dans le veuvage : elle se couche et s’assied à même le sol, nue ou légèrement habillée, elle est badigeonnée de cendres, de kaolin en signe de deuil. Ses déplacements se limitent à se mettre à l’aise, et elle se déplace tête baissée, points fermés. Elle est enfermée dans la case du défunt, toute nue sans droit de manger, de recevoir des visites ni de se laver. Le lendemain après l’inhumation, elle est soumise à une série d’épreuves.

Tôt le matin, lorsque l’herbe est encore trempée, les mingôngôn (les belles–sœurs) font courir la veuve tel un fantôme sur des pistes couvertes d’herbes mouillées, dans la broussaille ; elle y sort trempée, déchirée par les épines : c’est l’épreuve de l’antilope.

 

Après celle–ci, torse nu, elle va faire plusieurs tours de la concession au pas de course, transportant sur ses épaules un tronc de bananier traînant des feuilles que les belles–sœurs piétinent par derrière pour entraver sa marche. Elle est fouettée par les nervures de bananier si elle tombe.

 

Après cette épreuve, la veuve est envoyée chercher des noeuds en feuilles que les belles–sœurs auront soigneusement caché au tour du village. Une autre épreuve consiste à danser avec un gros caillou ou une pierre, criant que c’est son mari qui l’a posée sur sa tête, après la veuve danse accroupie en chantant comme le font les petits animaux en forêt, elle joue du mvet en l’honneur de son mari, elle est appelée à fixer, sans sourciller, le soleil. Elle ira ensuite faire des coulades dans la cour après qu’on eut versé de l’eau dans cette partie de la cour. Elle est battue par ses officiantes, sous prétexte qu’elle a causé la mort de leur frère, l’a souvent cocufié et méprisé.

 

Il faut cependant noter que tous ses sévices peuvent être écourtés à condition que la veuve ou sa famille paye en espèce ou nature. Alors les sévices s’arrêtaient. Durant tout le temps que le rituel se déroulait, la veuve était tenue de pleurer chaque matin au premier chant du coq. Ces lamentations, consistaient à exprimer sa douleur, sa perte, de dire du bien de son mari  et de clamer son innocence. Les sévices finis, la veuve était emmenée à la rivière, lavée, habillée d’un cache–sexe (aujourd’hui remplacé par un habit noir ou bleu sombre). Des interdits à observer lui étaient donnés :

– interdiction de voyager,

– ni participer à une fête sans autorisation,

– d’aller au champ,

– ni d’utiliser ses ustensiles,

– ni serrer la main à qui que ce soit.

La veuve ne s’oint pas d’huile, ne se parfume pas et ne se coiffe pas. La tête lui a d’ailleurs été rasée.

 

Pour l’homme, les signes extérieurs du veuvage sont la barbe, les cheveux ébouriffés et le vêtement noir.

 

Tous ses sévices terminés, il sera question désormais de purifier et de réhabiliter la personne qui vient de connaître la souillure de la mort car elle est également considérée comme telle. Ces rites de purification et de réhabilitation interviennent pour le premier après les vexations et brimades et pour le second au moment de la levée du deuil (après plusieurs mois).

 

Pour le rite de purification, il a lieu très tôt le matin qui suit les épreuves de brimades. Les belles–sœurs conduisent la veuve à la rivière où elle est déshabillée, a la tête rasée ainsi que le pubis et les aisselles, les ongles coupés. Ces objets ainsi que le vêtement qu’elle arborait sont enterrés dans le marécage ou alors ils le seront plus tard par la veuve elle–même en cachette. La veuve est alors plongée dans l’eau de la rivière par la principale officiante. Elle est ensuite lavée avec soin.

 

Le bain fini, on l’arrose d’une eau tirée d’un récipient contenant des herbes purificatrices connues des expertes. Dans la tradition beti, les belles–sœurs qui appelaient le défunt « mon mari » étaient également soumises à ces rites, cependant moins rigoureusement que la principale concernée. Le bain rituel terminé, la veuve est tenue de payer les services de ses belles–sœurs qui ont officié sans pensées maléfiques. Elle est habillée de noir ou de bleu sombre, signe extérieur de veuvage, en attendant la levée du deuil.

 

Celle–ci intervient plusieurs mois après le décès, au maximum un an. A l’approche de la date fixée par les belles–sœurs, la veuve informe ses proches–parents, ses amis et connaissances qui lui préparent plusieurs cadeaux : vaisselle, vivres, habits neufs… Au jour fixé, la veuve est conduite à la rivière par ses belles–sœurs pour y prendre un bain rituel comme la première fois. Après être sortie de l’eau de la rivière, elle est arrosée de l’eau médicinale. Pendant cette cérémonie, l’officiante principale prononce des paroles de bénédiction et d’éloignement de la malédiction :

Exemple : « Voici la prospérité, la santé, la paix que je déverse sur toi et ta famille tandis que la malédiction s’en va avec cette eau ».

Les herbes qui ont servi lors de cette séance sont jetées dans la rivière et emportées au loin. Les habits que la veuve portait suivent le même chemin. Ses cheveux sont soigneusement lavés et tressés. Sa toilette est l’objet d’une grande attention : habits neufs, bijoux, huile et parfum, poudre de padouk. Ainsi parée, la veuve, réhabilitée est conduite au village dans une ambiance de fête : chants, cris de joie…

 

Cette première étape terminée, il faut également réhabilitée la veuve dans toutes les activités du groupe ;  pour ce faire, une fois parvenue au village, elle va recevoir des dons de toute la communauté : grains à semer, boutures, instruments de travail (panier, houe, machette…), ustensiles de cuisine, mobilier… Elle va ensuite simuler toutes les scènes de la vie quotidienne : semailles, désherbages, récoltes, vente de produits que parents, amis, belles–sœurs  viennent acheter, scènes de ménages (balayer, préparer à manger, laver ….).

 

Simulation du mariage : elle se couche avec un homme sur un même lit ou une natte, scènes de caresses ; sans pour autant enfreindre la décence. Cette scène montre que la veuve peut à nouveau se marier. Puis sera donnée la bénédiction finale des patriarches. Un bouc est sacrifié et son sang recueilli est mélangé avec des herbes médicinales. La veuve et toute sa famille prennent place soit à même le sol, soit sur un tronc de bananier. Après un discours de bénédiction au cours duquel le patriarche officiant invoque tous les ancêtres de la famille, il les arrose de l’eau médicinale, souffle sur eux le mélange de cola et de poivre de Guinée (ndoñ) qu’il mâchait, en proférant des bénédictions. La tête du bouc sacrifié est remise à l’aîné. Elle sera soit consommée par tous, soit enterrée dans la forêt.

 

Les membres assis, après avoir serré la main des officiants vont se lever et s’en aller en courant. Ils sont à nouveau admis au sein de la société comme purs. Le tout est clos par un repas communautaire. Cependant, vu sous cet angle uniquement, le rituel du veuvage apparaît bien comme négatif, chosification de la veuve, violeur des droits de l’homme. Une analyse de la conception de la vie chez le Beti permet pourtant de dégager la signification profonde de ce rituel pour le Beti.

Signification du veuvage

En effet, l’analyse minutieuse du rituel situe sa signification à deux niveaux : pour le défunt et pour la veuve ; étant donné que c’est elle qui nous intéresse, il convient de savoir que dans la plupart des cas, la veuve ayant été la plus proche compagne de vie du défunt était souvent soupçonnée d’être responsable de sa mort : infidélité, jalousie, manque de soins, manquements aux devoirs conjugaux…

 

Les brimades étaient ainsi mises sur le compte de la vengeance, parfois aussi sur le remboursement de la dot déboursée pour l’épouser. Mais surtout les brimades jouaient pour la veuve le rôle de Catharsis (purification) : ils la purifient, la libèrent des passions et sentiments qui l’attachaient au défunt, atténuant ainsi le choc de la séparation. Les épreuves de brimades reposent sur la nécessité de préparer la veuve à l’endurance, à la combativité, à la pugnacité. La perte du mari étant lourde, la veuve ne devrait pas se laisser abattre, elle doit plutôt prendre en mains l’avenir de ses enfants et le sien propre. Les défis qui l’attendent étant énormes, les épreuves qu’elle subit l’y préparent.

 

D’autre part, le rite de purification vise à libérer la veuve et sa famille des souillures de la mort, à apporter la paix et la santé. Le rite de réhabilitation quant à lui permet de resocialiser la veuve dont la moitié est décédée avec son conjoint. Ainsi la veuve renaît à la vie de la famille et de toute la communauté. C’est pourquoi elle présente un nouveau look, la toilette, la réception des cadeaux, la mime des gestes de la vie courante, le repas communautaire et la bénédiction finale du patriarche.

   

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